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Ce ne furent pas seulement les orateurs du centre gauche, MM. Ribot et Franck-Chauveau, qui dénoncèrent à la tribune a cet expédient misérable » et signalèrent « l’avilissement du corps judiciaire tout entier livré au pouvoir ministériel, » ni le gouvernement, représenté par M. Varambon, qui déclara qu’on a ne trouverait pas en France un garde des sceaux pour accepter l’arbitraire indéfini, n ce fut un député de l’extrême gauche, M. Clemenceau, qui vint dire : « Nous avons la ferme volonté de donner à notre pays une magistrature qui s’inspire de l’esprit de la démocratie, une magistrature à qui chacun puisse confier sans crainte la garde de sa sécurité, de ses biens, de son honneur, de sa vie, et c’est parce que toutes ces choses dépendent des magistrats de la république que nous ne voulons pas livrer ceux-ci à l’arbitraire, au caprice des gouvernails. » Il se hâtait, il est vrai, défaire observer que la droite, le centre gauche, le gouvernement et l’extrême gauche n’avaient pas « de vues communes dans cette affaire. » Mais moins ces différens groupes s’étaient concertés et plus ils se divisaient quant au but suprême, plus la démonstration était péremptoire. Si les partisans les plus résolus et les plus implacables adversaires de la magistrature inamovible se trouvèrent, presque à leur insu, coalisés pour une heure, c’est qu’ils ne voulaient ni les uns ni les autres d’une magistrature asservie, et je ne sache pas, qu’on pût rendre un plus éclatant hommage au principe de l’inamovibilité.

Mais plusieurs des hommes politiques qui firent échouer, le 1er juillet, la proposition de M. Girard se figurent qu’ils peuvent. trouver dans l’élection des juges une autre garantie d’indépendance et, le principe électif leur paraissant plus conforme à l’organisation de la France moderne, ils proposent de l’appliquer désormais à la magistrature. La chambre des députés a d’ailleurs, dans la séance du 10 juin 1882, voté ce principe en adoptant, par 275 voix contre 208, une proposition de M. de Douville-Maillefeu ainsi conçue : « Les juges sont élus. » Je me propose d’examiner s’il est, en effet, possible et désirable que les corps judiciaires soient, à l’avenir, nommés par un corps électoral au lieu d’être choisis par le chef du pouvoir exécutif.


II

Le principal obstacle à l’établissement du système électif, c’est précisément, à nos yeux, qu’il anéantit l’indépendance du magistrat élu.

Quand les juges sont nommés par le chef de l’état, un législateur prévoyant les soustrait avant tout à l’action du pouvoir exécutif. C’est pourquoi d’inflexibles logiciens ont prétendu les dérober à ses