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respectueux de la liberté d’opinion des familles ou des églises, on leur laissait même l’enseignement de la morale, même celui de l’histoire dans ses parties controversables. Et cependant, malgré ces précautions et ces ménagemens, la laïcisation, défendue par l’éloquence de Gladstone, appuyée par l’autorité morale de Forster, échoua devant les résistances de toutes les confessions religieuses. Catholiques et protestans s’unirent pour combattre un projet qui exilait la religion de l’école. Disraeli, pour qui l’heure de la revanche avait sonné, résuma, dans un discours amer et spirituel, les griefs de l’opposition, non-seulement contre la mesure en discussion, mais contre toute la politique suivie par le cabinet libéral depuis quatre ans : « Vous avez dépouillé les églises, vous avez menacé toutes les corporations, vous avez troublé toutes les professions, vous vous êtes immiscés dans les affaires de chacun ; personne n’est plus sûr de sa propriété, personne ne sait plus à quelles obligations il pourra être soumis demain. Le pays est fatigué de votre politique de confiscation. » Le projet Gladstone-Forster fut repoussé par 287 voix contre 284. Le cabinet donna sa démission. Les conservateurs refusèrent d’accepter sa succession avant que la chambre des communes fût renouvelée. Gladstone garda encore le pouvoir pendant près d’un an avec son prestige diminué et sa majorité entamée. Dans ces conditions, il ne pouvait que végéter. Après de longues hésitations, tout à coup, brusquement, sans s’être concerté avec ses amis politiques et après avoir à peine prévenu ses collègues, il risque la dissolution en janvier 1874. Les libéraux vont à la bataille dans de mauvaises conditions, mécontens, découragés ; les conservateurs y arrivent pleins d’espoir et de confiance. La majorité de 1869 est culbutée. Disraeli rentre à la chambre à la tête de trois cent cinquante conservateurs disciplinés et serrés. Le grand ministère libéral a vécu ; le grand ministère conservateur commence ; il va durer six ans. Pendant six ans, l’Angleterre entendra plus rarement parler de réformes intérieures ; elle entendra plus souvent parler d’événemens extérieurs et de succès diplomatiques. La question irlandaise est suspendue ; elle n’est pas résolue. Ce n’est pas un dénoûment : ce n’est qu’un entr’acte,


EDOUARD HERVE.