Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Grenoble, l’explique avec une rare précision dans son ouvrage sur la Question agraire en Irlande : « Avant 1860, dit-il, la situation réciproque du propriétaire et du fermier n’était point considérée comme le résultat d’une convention expresse sur certains points, tacite sur les autres. Les jurisconsultes disent à bon droit que la relation du fermier avec le propriétaire est la conséquence de la tenure, non du contrat. Les obligations que produit cet état de choses naissent de la coexistence de droits réels appartenant à deux personnes différentes sur le même objet ; ce ne sont pas des obligations contractuelles. »

Il y a donc, d’après les idées anglaises, une sorte de décomposition de la propriété entre le bailleur et le preneur, entre le landlord et le tenant. Le bailleur se réserve le domaine éminent ; il a un droit de réversion, dont il peut user, soit à une époque indéterminée, en l’absence de convention spéciale, soit à une époque déterminée, quand il y a convention. Jusque-là le domaine utile passe sur la tête du preneur. Cette manière de comprendre la situation semble au premier abord extrêmement favorable au tenant, car elle lui reconnaît un droit réel sur la terre qu’il détient et qu’il cultive. Or un droit réel peut se vendre, se céder, se transférer. D’où cette conséquence toute naturelle : le fermier prétend traiter avec son successeur pour la cession du susdit droit : Je vous laisse la place, lui dit-il, je vous abandonne les améliorations que j’ai faites, je vous transfère ma situation, mais je vous demande une indemnité de bon gré (good will). A merveille, seulement il dépend du landlord de faire échouer la combinaison. Il peut d’abord refuser le nouveau fermier qui lui est présenté par le fermier sortant ; il peut ensuite, à l’expiration du bail, s’il y en a un, ou à toute époque, s’il n’y a pas de bail, élever outre mesure le chiffre du fermage ; alors le nouveau fermier n’a ni le désir ni la possibilité de payer à son prédécesseur l’indemnité de bon gré. Aussi le tenancier ne peut-il bénéficier de cette situation que là où il existe de bonnes relations entre lui et le propriétaire. Ce n’était pas le cas dans la majeure partie de l’Irlande. Seule, la province de l’Ulster faisait exception. Là les haines de race et de religion étaient moins violentes ; beaucoup de fermiers étaient protestans comme les landlords. Par suite, la coutume de l’Ulster était très favorable au droit du tenancier. L’indemnité de bon gré s’y payait couramment, et le propriétaire ne refusait pas d’accepter le successeur présenté par son fermier, à moins qu’il ne fût notoirement insolvable. Aussi les paysans des trois autres provinces disaient-ils constamment : Donnez-nous le tenant right ; donnez-nous la coutume de l’Ulster. Et lord Palmerston, qui n’était pas très tendre pour ses compatriotes les Irlandais, répondait avec