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les espérances de M. Bright ne se sont pas réalisées. L’hostilité que les luttes d’autrefois, avaient créée entre l’Angleterre, et l’Irlande n’a pas disparu. Il est plus facile de faire le mal que de le réparer, et le souvenir d’une injustice subsiste longtemps après, que l’injustice a disparu.


II

Une des trois maîtresses branches du mancenillier irlandais était coupée. Restaient les deux autres branches, le régime, de la propriété et l’organisation de l’enseignement.

Le régime de la propriété, comme l’église épiscopale, était une création factice, un fruit de la conquête, une plante exotique transportée en Irlande par les Anglo-Saxons. Lorsque le premier des rois angevins, Henri II, commença la conquête du pays, les terres étaient la propriété indivise des clans ou septs. Le chef du sept est élu toujours dans La même famille, mais non pas toujours dans la descendance directe. Les membres de la tribu choisissent parmi les parens du chef celui qui leur paraît le plus en état de les gouverner et surtout de les conduire au combat. Ils le nomment d’avance pour qu’il soit prêt à prendre la place à l’heure même où elle se trouvera vacante. Cet héritier désigné porte le titre de tanist, et la coutume en vertu de laquelle il est choisi s’appelle tanistry. Les relations entre le chef et les membres de la tribu ne sont pas celles qui existent entre un propriétaire et des fermiers ; ce sont les relations qui existent entre des associés, entre des copropriétaires. Les membres de la tribu sont si bien des copropriétaires que dans toutes les familles, sauf celle du. chef, les terres sont soumises au régime du partage égal entre les mâles ; les membres de la tribu sont si bien des copropriétaires, qu’ils ne peuvent pas être expulsés, déplacés, remplacés, suivant la volonté arbitraire du chef. Ils ont à payer des redevances très lourdes, généralement en nature ; ils sont obligés, à de certaines époques, d’héberger le chef, et sa suite ; ils sont tenus, soit au service militaire, soit à l’entretien des mercenaires levés pour la défense de la tribu., Ces charges acquittées, ils sont en règle avec le chef ; ils, ne peuvent pas être chassés de leur coin de terre[1].

Il suffit d’exposer ce système pour montrer en quoi il diffère soit de la propriété individuelle telle que nous la pratiquons, soit de la propriété féodale telle que les populations de race germanique l’ont organisée pendant des siècles partout où elles se sont établies. La

  1. La Question agraire en Irlande, par Paul Fournier.