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autres qu’elles sont, venant à changer avec le climat ou les circonstances historiques, la morale changerait en même temps. Elle est en soi chose relative, bien que nécessaire momentanément dans son rapport avec les conditions actuelles d’existence du groupe ; elle est devenue sacrée, comme sauvegarde des intérêts communs.

C’est bien là l’origine et le caractère des lois morales selon la philosophie positive. Elles impliquent la négation de l’unité morale de l’espèce humaine et la prédominance du point de vue historique ou local. Elles reflètent, non plus l’essence de l’humanité, constante à elle-même sous des formes diverses, mais bien la multiplicité et la diversité infinie des intérêts des groupes nés et répartis sur les différens points du globe, que rattachent vaguement entre eux non pas une identité de nature, donnant naissance aux mêmes devoirs et aux mêmes droits, mais le hasard des analogies anatomiques et la coïncidence approximative de leur avènement au même point d’évolution dans l’ascension des formes animales. En même temps, il est trop clair que sur chacune de ces règles empiriques, qu’on nous donne pour des lois morales, le droit de discussion est ouvert. Qu’y a-t-il de plus sujet aux interprétations les plus diverses que ces prétendues conditions d’existence de tel ou tel groupe social et les lois qui les expriment ? Rappelons-nous cet orateur qui demandait l’autre jour, à la tribune de la chambre des députés, laquelle des croyances laïques qui constituent la morale pourrait échapper à la discussion et au péril d’être niée par la raison. « Il y a, disait-il, des institutions sociales qu’on fait bien de respecter tant qu’elles sont du goût de la majorité, mais elles ne constituent nullement une réunion de principes indiscutables ; » c’est un ensemble de règles empiriques, réussissant ici, ne réussissant pas là, dépendant de tel ou tel état social, de tel ou tel degré de latitude, et par conséquent toujours soumises à l’examen, pouvant être changées aussi facilement qu’une loi de douane par un coup. de suffrage, quand elles cesseront d’agréer à un groupe qui n’y reconnaît plus les signes de l’utilité sociale. L’animal subit ces conditions d’existence, ces lois spécifiques, mais il les subit sans les comprendre, et par conséquent il n’y a pas de péril qu’il les discute ; l’homme arrivé par une longue évolution au degré d’intelligence actuelle, éclairé sur l’humilité de ses origines probables, ne sera plus dupe du mystère qui enveloppait pour ces ancêtres le principe et la naissance de ces lois. Il n’y verra que des habitudes héréditaires, contractées pendant de longues générations, et dès lors que l’analyse les aura réduites à un fait naturel ou à des associations d’idées qui peuvent être tout aussi bien des associations de préjugés, ces lois perdront du même coup leur autorité. Il n’est pas exact de dire, comme le font les positivistes, qu’elles n’en seront pas moins sacrées, à ce seul titre qu’elles sont la sauvegarde des