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Mallock ; nous nous réservons simplement le droit de le citer à l’occasion comme un témoin qui mérite d’être entendu, toutes les fois que l’examen que nous entreprenons amènera des rencontres entre ses idées étales nôtres. Mais nous pouvons dire déjà qu’il y a un point essentiel que l’auteur a mis parfaitement en lumière, c’est la force d’impulsion acquise, et très lente à se perdre, qu’exercent longtemps encore les idées religieuses dans les esprits, même quand on croit qu’elles ont disparu. C’est là une considération d’une importance capitale dans la question qui nous occupe. On se demande ce que deviendra la vie humaine, quand on l’aura réduite, non partiellement et pour quelques-unes de ses manifestations, mais tout entière, aux données de la science positive. Pour répondre sérieusement, scientifiquement à cette question, une condition préliminaire est à remplir, c’est d’éliminer avec le plus grand soin, dans l’analyse de la civilisation future, tous les élémens qu’ont pu y introduire les influences désormais condamnées, spiritualistes ou religieuses.

C’est un fait incontestable que nous vivons longtemps de la vie du passé, même quand théoriquement le passé n’existe plus pour nous, et cela est vrai, surtout dans l’ordre des idées pratiques et des sentimens moraux. Il s’est formé en nous une série d’habitudes et d’instincts qui ne sont eux-mêmes souvent que des habitudes accumulées dans une famille ou dans une race, qui nous lient ensuite dans l’avenir, prisonniers inconsciens du passé, et nous engagent dans des associations presque indissolubles d’impressions ou d’idées. Prenons un exemple qui nous servira à mesurer la portée de ces influences secrètes. Il y a une question que l’on pose souvent dans certaines écoles philosophiques et religieuses, à savoir « si un athée peut être un honnête homme. » Cela n’a de sens évidemment que si l’on entend l’honnêteté selon les règles de la morale ordinaire ; sans cela il n’y aurait pas lieu de poser la question. Mais alors même la réponse n’est pas douteuse. Oui, sans doute, et nous en avons des exemples sous nos yeux, un athée peut être un honnête homme, d’après les règles de la morale généralement reçue. Nous en voyons chaque jour qui conforment leur vie non pas seulement à la plus stricte justice, mais à la plus large équité, qui l’élèvent même jusqu’à la charité, qui en consacrent chaque journée par le plus utile travail, qui savent en faire un modèle, un type bienfaisant à contempler. Mais de tels cas individuels ne résolvent logiquement la question ni pour l’humanité tout entière, ni pour son avenir. Il faudrait tout d’abord examiner pour quelle part entrent dans une telle vie les influences actuelles ou séculaires, les idées ambiantes, tout imprégnées de christianisme