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lui, avec sa fougue de jacobinisme exubérant, va droit au but : la liberté pour tout le monde, — excepté pour les prêtres, pour les cléricaux, pour tous ceux qui veulent maintenir ou introduire les influences religieuses dans l’enseignement. M. le ministre de l’instruction publique s’est proclamé une fois de plus, il y a quelques jours, dans un discours d’apparat, grand partisan de la liberté de l’enseignement. A l’entendre, il est le premier à appeler la liberté. En toute occasion il renouvelle l’assurance qu’il ne veut ni une religion, ni une a irréligion d’état, » qu’il entend maintenir la neutralité dans les écoles. Tout cela est fort bien ? mais qu’en sait-il et que peut-il lui-même ? Est-ce qu’il est maître de gouverner des passions dont il s’est fait le complice, auxquelles il doit chaque jour des satisfactions ou des concessions nouvelles, qu’il est pour le moins obligé de ménager ? Il règne dans son ministère, — c’est M. Paul Bert qui règne dans ses écoles ! Rien certes sous ce rapport de plus significatif que cet incident qui a été l’autre jour l’objet d’une interpellation de M. Buffet au sénat, qui s’est passé dans une petite commune d’Eure-et-Loir. Un jeune instituteur qui est dans les idées du jour, — qui comprend ses devoirs, à ce que dit M. le ministre de l’instruction publique, — a imaginé d’adopter pour son école primaire le Manuel de M. Paul Bert. C’est un jeune instituteur qui promet. Or il s’est trouvé que quelques enfans, soit sous l’inspiration de leurs parens, soit sous l’influence du curé du village, ont refusé les bienfaits de l’instruction civique de M. Bert. Grande rumeur dans l’école et dans le village ! appel aux moyens de discipline ! M. le sous-inspecteur primaire s’en mêle ; M. l’inspecteur d’académie lui-même est obligé d’intervenir, — et il prend à l’égard de ces pauvres enfans coupables de manquer de foi en M. Bert un arrêté tellement bizarre que M. le ministre de l’instruction publique n’a pas cru devoir le maintenir.

Ce n’est certes qu’un bien petit incident ; il n’est pas moins tristement instructif, d’autant plus que ce qui se passe dans un village d’Eure-et-Loir peut se passer dans bien d’autres villages de France. Voilà donc ce qui arrive ! On bannit l’évangile des écoles ; mais il y a un autre évangile, c’est le Manuel de M. Paul Bert ; M. Paul Bert est infaillible pour les jeunes instituteurs, les enfans doivent s’incliner. Ainsi c’est la guerre des croyances dans les écoles, et c’est là apparemment ce que M. le ministre de l’instruction publique appelle la liberté de l’enseignement ! c’est ainsi surtout qu’on travaille à fortifier la France pour la préparer à rester ce qu’elle doit être dans le monde.


CH. DE MAZADE.