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l’Angleterre, malgré le tempérament pacifique et peu conquérant du cabinet libéral qui existe à Londres, ne recule pas devant une résolution énergique dans les eaux égyptiennes, c’est qu’elle a son regard tourné vers l’empire indien, La France, à son tour, ne peut oublier que sur l’autre bord de la Méditerranée, elle a de vastes possessions, récemment augmentées par le protectorat tunisien, que, si. on laisse. s’établir en Égypte un foyer de fanatisme et de propagande rayonnait) sur tout le monde musulman, c’est une menace permanente pour notre domination de l’Afrique. C’est pour elle un intérêt de grandeur nationale ou même, si l’on veut, de sécurité, et c’est précisément ce qui fait qu’elle ne peut ni s’effacer ni s’abstenir dans les affaires d’Égypte, qu’elle est l’alliée naturelle de l’Angleterre dans tout ce qui sera entrepris pour rétablir l’ordre dans cette partie de l’Orient. La question est de savoir si la France restera la France en se souvenant de toutes ses traditions, de tous ses intérêts, ou si elle est décidée à oublier tous ses devoirs de grande nation par de petites considérations de parti, par de médiocres calculs de tactique parlementaire.

Qu’aurait-on dit autrefois, au temps de la monarchie constitutionnelle, si cette position équivoque et amoindrie eût été faite à la France ou acceptée pour elle ? A cette époque de 1840 où, justement pour l’Égypte, s’engageaient des luttes si vives, si éloquentes entre M. Thiers et M. Guizot, on se révoltait contre une politique qui ressemblait à une déception, qui faisait souffrir l’orgueil national, — et cependant cette politique, que M. Guizot soutenait avec éclat contre son puissant et ardent antagoniste, elle avait sa grandeur, sa noblesse ; elle mettait hautement le bien souverain de la paix au-dessus d’une susceptibilité du moment et elle laissait encore la France dans la dignité d’un isolement respecté, dans l’intégrité de ses forces. Nous sommes loin de ce temps, et il est même admis à peu près parmi les partis régnans aujourd’hui qu’il n’y a plus à prendre feu pour ces grandes questions, que ce sont là des habitudes de diplomatie monarchique et des traditions surannées avec lesquelles il faut rompre, que la république doit avoir d’autres préoccupations et d’autres soucis.

Il vaut bien mieux célébrer des fêtes bruyantes, inaugurer avec ostentation l’hôtel de ville avant qu’il soit construit, pour le plaisir du conseil municipal de Paris ; il vaut bien mieux fulminer contre l’église de Montmartre, jouer aux interpellations et aux prises en considération dans les chambres, faire la guerre à la magistrature, dépenser des millions pour une armée dont on détruit l’organisation et le ressort, livrer l’enseignement à l’esprit de parti, troubler les croyances dans les plus modestes écoles. Il vaut mieux enfin s’attacher à tout ce qui flatte des passions, des préjugés ou des goûts dont on peut se servir dans un intérêt de domination, Toute cette agitation, il est vrai, est