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dit les intentions et le secret ? Son chant, son jeu, sa mimique, tout se passe en enfantillages. Elle y est jolie, mignonne, irrésistible, tout ce qu’on voudra, mais exécrable. Lâchez une gazelle dans un musée et vous verrez les beaux ravages ! Aucun soin de la mesure, aucune conception du rôle ; tantôt elle ralentit, comme dans le premier air qui veut être enlevé de fougue, tantôt elle précipite, indécise, entrecoupée et vacillante, un tempo rubato perpétuel ; avec cela beaucoup de gentillesse, une vocalisation délicieusement minaudière et dans la scène du fauteuil, une espièglerie adorable, une souplesse de chatte à se pelotonner. Jusqu’à présent, Mlle Van Zandt a réussi par des qualités d’enfant prodige. Virtuose avant d’être artiste, elle semble avoir dès le début rempli tout son mérite. Sa grâce personnelle, son fin gosier, son assurance, lui ont valu dès l’arrivée un de ces succès de fantaisie qui ne se discutent pas ; elle est pour le moment l’oiseau rare, le joujou qui vaut quinze cents francs. Nilsson en herbe, Patti mouche, le public en raffole ainsi, et dès lors pourquoi travailler ? Reste à se demander combien de temps cet engoûment pourra Dürer. Avec Mlle Isaac, le décor change ; ici, nous sommes en présence d’un talent sérieux et qui ne nous marchande pas ses progrès. Entre ce qu’elle était il y a trois ou quatre ans dans le Domino noir et ce qu’elle est aujourd’hui dans les Noces, que de chemin parcouru ! C’est Mme Carvalho qui chante la comtesse, nous l’entendîmes autrefois dans Chérubin, et ni plus ni moins elle chanterait demain Suzanne ; les artistes de sa race n’ont point à se gêner avec Mozart ; ils ont des droits sur tous ses rôles et peuvent même les chanter sans voix.

Sur ce chapitre de l’exécution, le Joseph de Méhul nous met plus à l’aise ; nous avons le Conservatoire pour marquer le pas ; d’Elleviou à Ponchard, de Ponchard à M. Talazac, la transmission est presque immédiate. Nous sommes chez nous, dans le milieu même où naquit cette musique, et chaque année, quand revient l’époque des concours, nos jeunes gens nous en récitent des morceaux qu’ils ont appris de leurs professeurs formés eux-mêmes par les successeurs des Gavaudan et des Martin. Je sais pour ma part quelqu’un dont le père avait personnellement beaucoup connu Méhul, et qui trouverait au besoin dans ses papiers de famille matière à discourir sur le sujet. Ce n’était pas simplement une grande vocation musicale que l’auteur de Joseph, c’était aussi un caractère, Gluck l’avait formé à ses leçons. Venu à Paris à l’âge de seize ans avec un très mince bagage de savoir amassé chez l’organiste de Givet, sa ville natale, il eut la bonne chance d’assister à la première représentation d’Iphigénie, d’y voir Gluck et d’en obtenir des conseils. « Je dois à ce grand maître, disait-il, tout ce que je possède dans mon art en fait de notions poétiques et philosophiques. » Plus tard Cherubini lui fut également une source d’inspiration, mais alors, comme on était en 1805 et qu’il avait déjà fait sa trouée avec