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des éloges. » Et là-dessus constatant que le contrat a été religieusement exécuté, Macaulay se donne carrière et compose l’Essai sur Warren Hastings, auquel peut-être on trouvera que nous revenons souvent, parce qu’en effet nous y voyons le chef-d’œuvre de l’histoire biographique.

On dira donc avec vérité que, sauf quelques rares exceptions, comme quand il faut bien discuter pied à pied, en raison de leur importance ou de l’importance du personnage, les assertions de son auteur, Macaulay n’aime évidemment pas à lui soumettre sa façon de concevoir le sujet, et préfère user de l’occasion pour penser à son compte. On aime à faire ce que l’on sait bien. Or Macaulay certainement excelle à discerner ce qu’il est si rare que l’on discerne dans un grand sujet, complexe et divers : le point essentiel, celui d’où tous les autres dépendent et dont la position commande, en quelque sorte, non-seulement toute l’étendue, mais encore les alentours du sujet. Quiconque ne se rendra pas d’abord possesseur de ce point, et c’est, pour le dire en passant, ce qui distingue un historien d’avec un érudit, il pourra publier les documens à tous les égards les plus neufs et les plus curieux, étaler les trésors de la science la plus sûre et la plus variée, répandre même à mains pleines les idées les plus rares et les plus originales, on dira qu’il a manqué son sujet, et l’on ne se trompera pas. L’histoire est encombrée de matériaux, mais peu de gens réussissent à les mettre en œuvre. Ils ne possèdent pas leur sujet : c’est leur sujet qui les possède. Je connais tels ouvrages qui ne seraient pas très éloignés de la perfection de leur genre s’ils étaient seulement allégés d’une bonne moitié, pour ne pas dire de la presque totalité d’eux-mêmes. Mais on ne sait pas assez combien il y en a qui sont précisément admirables autant pour ce qu’ils ne contiennent pas et qu’ils eussent pu contenir, si leur auteur l’eût voulu, que pour ce qu’en effet ils contiennent. Comparons des choses comparables. Je ne suis pas sûr que les nombreux volumes consacrés par Carlyle à Frédéric le Grand ne soient pas de la première espèce, mais je n’hésite pas à classer dans la seconde le court Essai de Macaulay sur ce même Frédéric. Et ne pourrais-je pas aller jusqu’à dire qu’il est plus complet, s’il donne, comme je crois, du fondateur de la grandeur prussienne une idée plus exacte, une connaissance plus précise, un portrait enfin plus vivant et qui se grave dans la mémoire en traits inoubliables ?

Tel est un charme encore de ces Essais. Grâce à la méthode sévère de l’historien, mais grâce aussi (car il ne faut faire croire à personne que la seule vertu d’une méthode arrive à de tels effets), grâce à la vivacité d’une imagination, qui n’en est pas moins puissante, quoique la raison la gouverne toujours, c’est une galerie que ces six volumes ; et l’intensité de vie des portraits en garantit la ressemblance. Les