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lecteur français en pareille matière, mais de conduite. Et j’ajouterai que, bien loin de nuire à la critique de Macaulay, cette préoccupation lui a donné, tout au contraire, ce qui, dans ce siècle même, pourrait bien avoir fait défaut trop souvent à la critique française, uniquement ou presque uniquement préoccupée de la forme ; le fond, la solidité, et si j’ose dire, le lest.

Il faut d’ailleurs faire attention qu’un lieu-commun, même de morale, et de tous les lieux-communs fût-il le plus rebattu, cesse en réalité d’en être un quand il est comme renouvelé par la vertu d’une application particulière. C’est un lieu-commun assurément, s’il en fut, que de dire que la connaissance des Analytiques d’Aristote, et voire la connaissance de l’Ethique à Nicomaque ne valent pas, pour apprendre à se conduire dans le monde, un peu de cette expérience qui s’acquiert à pratiquer la vie, par l’usage des choses, et dans le commerce des hommes : ce n’en est plus un cependant que de donner à la démonstration de cette vérité la forme ingénieuse que lui a donnée Macaulay dans son Essai sur Bacon. C’en est un autre encore que de dire qu’il est d’une politique habile de faire servir à ses desseins cela même qui semblait devoir en procurer la ruine : ce n’en est certes plus un que de montrer, comme l’a fait Macaulay dans l’Essai sur l’histoire de la papauté, la politique pontificale utilisant au profit de sa domination sur les âmes ce même esprit d’indépendance qui a été, qui est encore le principe actif de dissolution des communions protestantes. Macaulay n’a pas de rival pour le nombre et la diversité de ces applications. L’étendue de connaissances qui lui a permis d’écrire avec une égale compétence l’Essai sur les orateurs athéniens et l’Essai sur Mme d’Arblay ; la richesse d’informations de toute sorte, grâce à laquelle il a pu traiter avec une égale précision des intérêts de la politique anglaise dans l’Inde, et des caractères de la poésie de Pétrarque et de Dante ; la certitude enfin d’érudition qui l’autorise à parler de Bacon et de la philosophie de l’induction avec autant de poids et de sécurité que de la tragédie de Dryden et de la comédie de Molière, tout cela lui suggère, à chaque page, à chaque ligne de ses Essais, des ressouvenirs des comparaisons, des images qui risqueraient presque d’égarer l’esprit du lecteur, si l’art de l’écrivain ne rattachait ses digressions et ne les ramenait à l’unité du sujet avec autant d’aisance et de bonheur qu’il les en a distraites. Il a été l’un des premiers à éclairer l’histoire de la Grèce antique à la lumière des mœurs politiques de l’Angleterre moderne, et tout le monde sait le parti que Grote a tiré de cette méthode, bien que sans doute en l’exagérant. Il a été aussi l’un des premiers, parmi ses compatriotes, à s’emparer de l’histoire de la littérature et de l’art italiens, et l’on sait qu’aujourd’hui si l’on veut lire un bon livre sur l’histoire de la renaissance, ce sont quelques livres