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circonstance de tout reproche de malveillance et de basse jalousie. L’effort est trop grand, le résultat trop mince. Mais lorsqu’au contraire ces dissertations sont le fond du sujet lui-même, c’est où Macaulay triomphe et emporte comme de haute lutte l’assentiment du lecteur.

Il est évident que, dans l’Essai sur les poètes comiques de la restauration, cette question de la moralité dans l'art, dont nous parlions tout à l'heure, est la raison d'être de l’Essai, sa cause efficiente, comme disent les philosophes, et que le théâtre de Congreve et de Wycherley n'en est que la cause occasionnelle. J’inclinerais même à croire que, si Macaulay n'a pas tenu toute la promesse de son titre et n'a pas plus amplement parlé du théâtre de Farquhar et de celui dee Vanbrugh, c'est qu'il avait épuisé ce que le sujet lui fournissait de considérations à l'appui de sa thèse, et que par suite ni de Farquhar ni de Vanbrugh il ne pouvait rien dire d'essentiel qu'il n'eût dit à l'occasion de Congreve et de Wycherley. Il n'est pas moins clair qu'en écrivant l’Essai sur Machiavel, s'il pensait sans doute aux comédies du Florentin ; il pensait surtout au livre du Prince, à la vie politique du secrétaire de la seigneurie, à l'Italie du moyen âge et de la renaissance, et que l'objet propre qui sollicitait ses réflexions, c'était la définition en soi de la moralité politique et de ce qu'elle a de variable selon les temps et selon les lieux. Mais qui niera que dans l’Essai sur lord Clive, à n'approfondir pas ce difficile problème de savoir si l'on doit appliquer à la conduite politique des fondateurs d'empire la même mesure de rigueur morale qu'à la conduite privée des marchands de bonnets de coton et de gilets de flanelle, il eût, non pas sans doute manqué, mais du moins étrangement rabaissé son sujet ? Car au fond, ce sont ces questions de principes, éternellement agitées entre les hommes, et sans doute éternellement insolubles, qui sont le grand intérêt de la critique et de l'histoire. Beaucoup de gens ont vécu sans lire les comédies de Congreve, beaucoup vivent aujourd'hui qui ne connaissent le Prince que de nom, ou même ne le connaissent pas, non plus que Machiavel, et beaucoup vivront sans entendre jamais parler de lord Clive ou de Warren Hastings, mais il n'est indifférent à personne de savoir s'il y a deux morales ou s'il n'y en a qu'une ; s'il y a des occasions où la fin justifie les moyens, ou s'il n'y en a pas ; et si l'on violera, sous prétexte d'art, ou si l'on ne violera pas toutes les convenances que la police, à défaut de l'éducation, nous oblige à respecter dans la vie quotidienne. Je ne crois pas me tromper en disant que la préoccupation de ces questions, toujours présente, a été le principe intérieur et l'âme même de la critique de Macaulay. Il n'est pas douteux au moins qu'il aime non-seulement à suivre, mais lui-même à pousser toute sorte de questions de littérature ou d'histoire jusqu'au point où elles se transforment en questions, je ne dirai pas de morale, pour faire une concession au scepticisme qu'affecte volontiers le