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de mots dans son texte, ou de multiplier à la un d’un volume les appendices et les pièces justificatives, est à ce prix, et ne provient de nulle part ailleurs. On ne s’en rend pas toujours compte à la première lecture, et il y faut revenir, mais on sent que, dans son esprit et, par conséquent, sous sa plume, les idées s’ajustent comme on s’y attendait, comme il faut, comme il est nécessaire qu’elles s’ajustent, et c’est ce qui fait que, tandis que nous lisons Carlyle avec autant de défiance que nous lisons Michelet, deux visionnaires, encore qu’ils n’aient pas précisément les mêmes visions : tout au rebours, avec autant de confiance que nous lisons l’historien de Charles Ier et de Cromwell, ainsi faisons-nous de l’historien de Jacques II et de Guillaume III. Nous devions cette comparaison au traducteur de Macaulay.

Ce qui corrobore cette confiance qu’inspire Macaulay, ce qui fait mieux sentir au lecteur la solidité du terrain où l’écrivain l’invite à le suivre, — et qui n’est possible d’ailleurs que si toutes les parties d’un même ensemble sont assez fortement liées pour que l’on ne risque jamais de le perdre de vue, — c’est l’abondance, l’ampleur et surtout la nature des digressions. L’Anglais ici se retrouve tout entier, qui ne se paie ni de mots ni de phrases, à ce qu’il croit du moins, mais qui veut des argumens probans et des faits décisifs. Dickens, en divers endroits, dans les Aventures de Monsieur Pickwick et dans les Temps difficiles, si j’ai bonne mémoire, s’est agréablement moqué de ce qu’il y a d’excessif parfois dans cette manie nationale. Elle nous parait à nous aussi, Français, souvent bizarre, mais plus particulièrement quand c’est, si je puis ainsi dire, à la démonstration de la moralité qu’on l’applique. Les prédicateurs en sont presque tous possédés, et sous ce rapport, Bourdaloue, qui justement est l’un de nos grands écrivains dont les Anglais de tout temps ont fait le plus de cas, ne le cède pas à leur Tillotson. Si cependant l’objet du prédicateur ou de l’historien même et du critique n’est pas tant de plaire que d’instruire, ou de persuader que de convaincre, il faut bien avouer que cette méthode un peu lente, mais très sûre, qui se pique de ne rien avancer que l’on ne prouve, a du bon et même de l’excellent. Dès que l’on n’écrit pas pour soi seul, auquel cas je ne vois pas le motif qu’on aurait de se faire imprimer, ou pour le très petit nombre de gens qui sont en état de juger ce que l’écrivain apporte de vraiment nouveau dans le sujet qu’il traite, on peut poser en principe que rien n’est si connu du lecteur qui ne vaille la peine d’être une fois de plus répété, rien n’est si solidement établi qu’il ne soit utile d’en renouveler la démonstration, et rien enfin n’est évident d’une si pleine et si rayonnante évidence qu’on ne puisse espérer de le rendre plus évident encore. Les dilettantes font profession d’avoir horreur du lieu-commun. Mais qu’appellent-ils un lieu-commun et que deviendraient-ils eux-mêmes si