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première, à l’infini de la volonté libre, comment comprendre que quelque chose qui serait hors d’elle, qu’un rien, un néant par conséquent, pût en quoi que ce soit l’empêcher et suspendre un seul instant son action ? » Mais M. Ravaisson espère lever la contradiction de l’effet avec la cause en disant que c’est l’amour infini qui se pose à lui-même un obstacle, une borne, pour pouvoir donner l’existence à un monde imparfait et borné : « Il semble, dit-il, qu’on ne saurait comprendre l’origine d’une existence inférieure à l’existence absolue, sinon comme le résultat d’une détermination volontaire, par laquelle cette haute existence a d’elle-même modéré, amorti, éteint pour ainsi dire quelque chose de sa toute-puissante activité… Ainsi, de ce que l’amour absolu a annulé en quelque sorte et anéanti de la plénitude infinie de son être (se ipsum exinanivit), il a tiré, par une sorte de réveil et de résurrection, tout ce qui existe. » — Selon nous, « cette nouvelle forme de la participation platonicienne ne fait qu’élever à son plus haut degré la contradiction de la cause parfaite et du monde imparfait, en faisant dériver cette contradiction d’un acte volontaire du premier principe. Le mal et l’imperfection, au lieu d’être subis, sont voulus par le bien parfait, par ; « l’éternel amour, » par la moralité absolue. En ce cas, la contradiction est imputable à la volonté divine et non plus à la puissance divine, elle passe du pouvoir exécutif au pouvoir législatif ; mais une contradiction volontaire, qui vient du dedans et non plus du dehors, n’en demeure pas moins une contradiction et n’en est que plus choquante ; dès lors, à quoi bon supposer cet absolu qui ne se manifeste que comme s’il était relatif, cet amour sans bornes qui agit comme si, pour une raison ou une autre, volontaire ou involontaire, il était borné de toutes parts ? C’est assembler des notions incompatibles entre elles que de répondre : l’amour suprême a annulé une partie de son être sans parties pour produire notre être, une partie de son bonheur sans limites pour produire la souffrance, une partie de sa lumière infinie pour produire les ténèbres de l’ignorance, une partie de sa bonté pour engendrer le mal. Bien plus, il l’a fait volontairement, nous dit-on, puisque aucune condition extérieure ne pouvait lui imposer une nécessité ; il a donc fait volontairement des malheureux ; il a ainsi introduit librement la contradiction et la dualité dans son unité en voulant son contraire. Puisqu’il était à ce point au-dessus des lois de la logique, puisque ces lois ont été par lui produites et non imposées à sa volonté, comment n’en a-t-il pas profité pour produire une infinité d’autres êtres heureux comme lui, aimans comme lui, tout au moins plus aimans et plus heureux que ceux qui s’agitent ici-bas et s’entre-dévorent dans la lutte pour la vie ?

M. Ravaisson nous arrêtera par l’argument classique, selon lequel