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but de s’occuper d’objets religieux, littéraires, scientifiques, politiques ou autres sous la condition de déclarations précises excluant toute action occulte ; mais il refusait la personnalité civile à toutes celles qui n’auraient pas obtenu par une loi la reconnaissance d’utilité publique. Déposé en juin 1880, ce projet fut soumis à une commission dont M. Dufaure fut aussitôt élu président et rapporteur ; il en dirigeait les travaux avec l’intérêt qu’il portait à ce genre d’études. Il y voyait le testament de ses convictions libérales. Six fois ministre sous cinq chefs d’état sans qu’on puisse l’accuser de versatilité, parce qu’il a été à toute époque fidèle aux principes qui avaient formé son esprit sous la restauration, il dirigeait les travaux de la commission avec une application qui l’absorbait et le fatiguait ; quand sa santé ébranlée lui interdisait de se rendre au sénat, la commission s’assemblait chez lui. Il réunissait les documens, multipliait les lectures, accumulait les notes en vue du rapport qu’il méditait. Par momens, il craignait de ne plus pouvoir monter à la tribune, mais il ne perdit pas l’espérance de terminer son travail. Il lui semblait qu’il faisait ainsi une dernière protestation contre la politique, qui substituait les expédiens à la pratique virile de la liberté.

Il avait coutume de dire : « Pour agir je suis trop vieux. Comment regretter de mourir, à mon âge ? Mais si j’avais cinquante ans, quelle lutte à soutenir ! » Il croyait à l’efficacité de l’action, et il n’a pas un moment désespéré de son pays.

Ses forces diminuaient peu à peu sous l’influence du mal. On voulait se faire illusion autour de lui. Il était le seul à ne pas souffrir la moindre atteinte à la vérité, se rendant compte des progrès de la maladie et en calculant la marche. Il avait chaque année l’habitude de ranger en liasses ses notes et ses dossiers lorsqu’il s’apprêtait à quitter sa résidence de Paris ou de la campagne. Au printemps de 1881, on le vit entreprendre à Rueil un rangement général. Il venait de ressentir les premières souffrances. Il voulait d’avance se tenir prêt pour son dernier voyage.

Il avait fait bien d’autres préparatifs. Toute sa vie il avait eu une prédilection pour Pascal et Bossuet. Tantôt les Sermons, tantôt les Pensées repassaient sous ses yeux et venaient habituer son âme à la mort. Certains passages le frappaient ; il y revenait souvent et il s’était dit qu’aux heures suprêmes où l’intelligence subsiste, où l’on perçoit les sons sans pouvoir s’exprimer, il serait doux d’entendre ce grand langage des maîtres de la pensée humaine qui viendrait fortifier l’âme et lui donner la paix. Dans ce dessein, il marquait les pages, multipliait les signets, indiquait d’avance tout ce qu’il pourrait demander à des voix aimées de lui lire.

Sa foi n’avait besoin ni d’avertissement ni de retour. La