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était juste, ce qui était politique, et acquitter la promesse du message. Chaque ministre se mit en mesure de saisir le conseil.

Le maréchal avait suivi les événemens avec des sentimens bien divers. Consterné par les élections sénatoriales, désirant vivement échapper aux difficultés accrues du pouvoir, il avait espéré que les demi-mesures pousseraient à bout la chambre et que ses ministres seraient renversés le 20 janvier ; il été prêt à partir et sa lettre de démission était écrite, lorsqu’il apprit le succès de son cabinet. Il en eut un vif mécontentement et ne chercha plus que le moyen de retrouver l’occasion perdue. Il la saisit le 28 janvier, quand le général Gresley, celui de ses ministres en qui il avait le plus de confiance, celui qu’il venait de désigner peu de jours avant par un libre choix de son amitié pour le portefeuille de la guerre, vint lui demander l’application de la loi aux commandais de corps d’armée. Il s’agissait d’en remplacer cinq qui avaient dépassé depuis longtemps le terme des trois années. Le maréchal consentit à la mesure pour deux d’entre eux, refusa son adhésion pour les trois autres, et préféra déposer la charge qu’il avait assumée le 24 mai 1873.

C’est l’honneur et le péril de ceux qui acceptent d’être les premiers dans l’état, de ne pouvoir à leur gré se soustraire aux responsabilités par cela seul que la mission imposée par la Providence devient plus pénible on plus périlleuse qu’ils ne l’avaient prévu. En politique, comme en tactique militaire ; il y a des postes qu’il n’est jamais permis d’abandonner.

En présence de la résolution du maréchal, que devait faire M. Dufaure ? Abandonner le général Gresley, c’était le désaveu sans profit comme sans dignité de la politique du message. Offrir au président de la république la démission du cabinet, c’était courir au-devant de je ne sais quelle résolution du maréchal appelant la droite à une nouvelle aventure. Il fallait se résigner à une démission aussi préméditée que prématurée, qui devançait de vingt-deux mois l’échéance du terme présidentiel.

Au milieu de cette crise, dans laquelle M. Dufaure accomplissait non sans tristesse son devoir, il ne se souciait pas des éloges exagérés, qui lui étaient décernés par les journaux et les partis qui proclamaient à l’envi sa victoire. On parlait de lui pour la présidence. Il signifia, dès les premiers bruits, sa volonté absolue de ne pas succéder au maréchal. Il y a des devoirs sévères qui n’ont de valeur, que s’ils sont dénués de récompense. En cédant au pays sur un petit nombre de points pour empêcher tout le mal que son expérience prévoyait, M. Dufaure obéissait à une conviction, non à un calcul personnel.

Aussi son premier acte fut-il de remettre à M. Grévy la démission du ministère. Il espérait qu’une politique ferme et libérale pouvait être suivie par des hommes plus jeunes.