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attentive qu’ils représentaient l’opinion publique sous son expression la plus récente. Il put se convaincre que leur impatience moins vive que celle des députés ne différait que dans la mesure. On lui rapportait des incidens qui prouvaient le langage agressif de certains fonctionnaires et qui justifiaient non les clameurs des députés, mais les doléances dont les sénateurs se faisaient discrètement l’écho.

Le conseil des ministres et son président prirent aussitôt leur parti. Ils rédigèrent un message dans lequel furent énumérés toutes les lois, toutes les réformes, tous les travaux soumis au parlement. Sur chaque point, on verrait la détermination de faire un pas en avant, de montrer franchement libéral, sans faire de concession ai radicalisme. Le sénat écouta la déclaration avec sympathie. À la chambre, l’attention était ailleurs. Que dirait le cabinet de l’épuration ? Quelle satisfaction donnerait-il ? Le gouvernement promit de destituer les fonctionnaires qui attaqueraient les institutions établies, mais, au lieu de procéder par catégories, il annonça qu’il agirait prudemment, « voulant être assuré de la faute avant d’infliger la peine. » Une interpellation fut aussitôt annoncée.

En réponse à M. Senard qui le pressait de destituer un certain nombre de procureurs-généraux, M. Dufaure déclara qu’il serait sévère, mais que l’intérêt politique ne le ferait pas souscrire à une seule révocation qu’il tiendrait pour injuste. Il comprenait que « les élections, en mettant d’accord les deux pouvoirs législatifs, avaient affermi les institutions, que cet accord devait descendre des pouvoirs à tous les fonctionnaires et qu’il n’y avait plus à tolérer ces hésitations, ces doutes, qui pouvaient naître de ce que le fonctionnaire avait au-dessus de lui, dans la majorité d’une des chambres, un exemple et peut-être un appui. » La chambre prit acte de ce langage et donna cent voix de majorité au ministère.

Cette victoire ne pouvait pas rassurer les esprits clairvoyans : la masse tranquille du pays, ceux qui veulent le repos et qui haïssent les querelles des partis étaient satisfaits du langage de M. Dufaure. Un pas en avant leur suffisait ; mais les impatiens de la chambre ne s’arrêtaient pas en chemin et s’apprêtaient à exiger de longues séries de révocations, apparaissant à l’Officiel comme un coup de théâtre. Tandis que le garde des sceaux, pesant dans sa justice certaines « lenteurs d’obéissance, » songeait à mettre à la retraite quatre procureurs-généraux, les meneurs dans les couloirs de la chambre demandaient que quatorze fussent destitués. C’étaient des procédés révolutionnaires substitués à la méthode d’examen d’un gouvernement régulier. Il était aisé de prévoir qu’un ou deux mois plus tard, les exigences accrues renouvelleraient l’attaque. Mais de telles prévisions ne changent pas la nature du devoir. Il fallait faire ce qui