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M. Dufaure n’avait de répugnance absolue que contre ces trois systèmes qui, sans le savoir, ont tant d’attaches communes.

Il vint un jour où le garde des sceaux eut à s’expliquer sur cette grave divergence de vues. M. Thiers, inquiet de l’agitation des partis pendant l’automne de 1872, avait résolu de parler à l’assemblée avec une suprême franchise : dans son message, il déclara que le moment lui semblait venu de faire la constitution, que la république serait conservatrice ou qu’elle ne serait point, et que le seul moyen de fonder cette forme nouvelle de gouvernement était que les conservateurs la fissent eux-mêmes en abdiquant toute rancune et tous regrets. Suivant M. Thiers, le pays voulait la république, et le centre droit n’avait qu’à opter entre le rôle de vainqueur ou celui de victime. Ce langage solennel, ces conseils donnés aux partis ne provoquèrent qu’un redoublement d’agitation. On ne voulait pas encore renverser M. Thiers ; on conçut la pensée de lui fermer la bouche en proposant en apparence une loi sur la responsabilité ministérielle. M. Dufaure s’y opposa en demandant à l’assemblée de faire une loi sur les pouvoirs publics. « Vous voulez, disait-il, répondre au message. Le message a été considéré par la nation comme digne d’une assez haute estime ; les étrangers ont trouvé qu’il y avait quelque grandeur dans ce langage du chef du pouvoir exécutif de la France, après les malheurs inouïs qui l’ont désolée, après le vigoureux réveil qui, depuis dix-huit mois, la relève ; enfin, peut-être que l’histoire lui fera une certaine place. Eh bien ! messieurs, je vous le demande, si vous répondez à ce message, en disant : Une commission va rechercher les moyens par lesquels M. Thiers sera empêché d’aborder la tribune française, votre réponse aura-t-elle le même accueil ? »

La proposition de M. Dufaure l’emporta, et la première commission des trente chargée des pouvoirs les plus étendus sortit de cette journée parlementaire. Malgré cet apparent succès, la lutte entre le président et l’assemblée s’accentuait. Le garde des sceaux était de plus en plus impatient de voir constituer les pouvoirs publics. Il se souvenait du conflit sans issue créé par la constitution de 1848 et il appelait de ses vœux une seconde chambre également indépendante des députés et du pouvoir exécutif qui servît entre eux d’arbitre et assurât l’équilibre des pouvoirs. Tel fut le point sur lequel portèrent ses longues négociations avec la commission des trente. Il ne se lassait pas de lui montrer que cette lacune ne pouvait être plus longtemps soufferte sans la plus extrême imprévoyance.

Un instant on crut que le conflit serait apaisé lorsque, le là décembre 1872, à propos de pétitions réclamant la dissolution, M. Dufaure, ayant demandé l’ordre du jour, fit un discours si