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aurait perdu de popularité dans les antichambres. Le remaniement du personnel détourna malheureusement le garde des sceaux de la réforme judiciaire. Aux premiers jours de son ministère, il avait mis cette question à l’étude et il en avait poussé fort loin l’examen. Divers abus le blessaient. Comme les esprits clairvoyans et généreux qui avaient saisi l’assemblée de plusieurs projets, il jugeait qu’il y avait plus d’une modification que le temps réclamait. Mais il fut arrêté par le désir de terminer l’œuvre de réparation patriotique à laquelle il s’était voué. Les cours de Colmar et de Metz les tribunaux du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle étaient pleins de magistrats animés de l’esprit français et demandant à rentrer dans la hiérarchie judiciaire. Il fallait leur faire place. Était-ce le moment de restreindre la liberté du choix qui appartenait au garde des sceaux ? De donner aux compagnies une influence sur le recrutement ? De suspendre ainsi cette reconstitution du personnel qui était entreprise dans des vues d’ensemble ? Telles furent les considérations, qui firent, à cette époque, ajourner la réforme judiciaire M. Dufaure ne se montra disposé à accueillir que l’établissement d’un examen éliminant au seuil de la carrière les incapables. Mollement soutenus par une assemblée indifférente, les auteurs des propositions se découragèrent et ne cherchèrent pas à poser cette première assise qui eût été pourtant une conquête sur l’ignorance et la faveur. En France, on n’aime pas à accomplir lentement une réforme on préfère en ajourner les avantages, dût-on recourir à une révolution.

M. Dufaure prépara, soutint et fît voter, en 1872, une loi sur le jury, à laquelle il attachait beaucoup d’importance. Sans être porté vers le jury en matière civile, ni vers une extension trop grande de sa compétence en matière correctionnelle, il tenait cette institution pour un des fondemens les plus solides de notre justice criminelle. Pour la garantir contre tout retour d’opinion, il fallait la sauver de ses propres erreurs et la préserver à la fois de l’ignorance et de la politique. Sous le régime du cens, tous les électeurs étaient jurés, mais depuis l’établissement du suffrage universel, il avait fallu faire un choix. En 1848, des commissions cantonales tirées des conseils municipaux et présidées par le conseiller-général, furent chargées de dresser la liste générale. À l’élément électif l’empire substitua les fonctionnaires nommés par lui, maires et sous-préfets. M. Dufaure avait voulu faire du choix des jurés une œuvre judiciaire ; ce fut le caractère original de la loi. Les commissions cantonales, présidées par le juge de paix étaient composées de ses suppléans et des maires, redevenus électifs, les commissions d’arrondissement des