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avait une confiscation dont tout gouvernement soucieux du droit devait avoir hâte d’effacer les traces. M. Dufaure, qui avait siégé, depuis la mort de Mme la duchesse d’Orléans, dans le conseil où étaient traitées les affaires privées des héritiers du roi Louis-Philippe, prit une grande part à la préparation de la loi qui restituait aux princes les épaves non encore vendues de leur fortune patrimoniale.

Les travaux législatifs constituaient le principal intérêt de sa vie ; ce n’était pas ceux qui lui donnaient le plus d’occupation et de soucis. Il poursuivait un grand dessein : il voulait affranchir les magistrats, depuis les justices de paix jusqu’aux postes les plus élevés, du joug de la politique. Il ne se contenta pas d’adresser des circulaires. Le personnel de la magistrature avait été profondément modifié dans les six mois qui avaient précédé son arrivée à la chancellerie. Aux parquets de l’empire avaient succédé des magistrats envoyés par M. Crémieux. Entre les révoqués du 4 septembre et ceux qui les avaient remplacés la haine était violente, la guerre déchaînée. Dans le cabinet du garde des sceaux se succédaient dès le matin de longues files de députés : c’étaient les représentans de tout un département venant demander la réintégration de magistrats destitués. L’assemblée n’était cependant pas bonapartiste, elle l’avait prouvé en votant avec une unanimité presque complète la déchéance ; mais la majorité ne souffrait pas les magistrats improvisés qui étaient le produit de la politique. Les sollicitations, les démarches se multiplièrent. M. Dufaure qui avait commencé dès le jour de son arrivée au ministère un examen de chaque dossier, continuait son travail avec le même soin. Plus on se montrait pressé et plus il mettait de conscience à prolonger son étude. C’est le sort des modérés de mécontenter les esprits exclusifs. Des deux côtés de l’assemblée, les violens se plaignaient. À gauche, on commençait à répéter que le garde des sceaux chassait les républicains, tandis qu’à droite on s’irritait de voir un si petit nombre de réintégrations. La gauche aurait interpellé, sans la crainte de déplaire à M. Thiers ; la droite, que ce scrupule n’arrêtait pas, prit les devans et demanda comment tous les magistrats du 4 septembre n’avaient pas encore été chassés.

M. Dufaure répondit que, parmi les magistrats antérieurs au à septembre comme parmi ceux d’après, plusieurs pouvaient à ses yeux être suspects d’être des magistrats politiques. « Que ferons-nous ? ajouta-t-il. Nous rechercherons avec soin ceux qui, aux deux époques, quelle que soit leur origine, ont échappé à cette influence désastreuse pour la magistrature ; qui se sont fait remarquer par leur mérite plus que par leur zèle, qui ont été noblement infidèles au mandat que l’on voulait peut-être leur donner, qui enfin ont su