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au théâtre ou à la promenade de Choubra, depuis son exil. Elle s’occupe beaucoup de ses enfans et ne sort que pour visiter les princesses de sa famille.


25 mars.

Nous avons ce matin passé la matinée dans la jolie île de Raouda qui divise le Nil en face du Vieux-Caire. L’aimable duc d’A., qui, depuis longtemps, a acheté une partie de l’île, y vit dans une petite maison soignée, entourée d’un beau jardin et remarquable par le plus bel arbre des banians qui soit en Égypte. C’est le grand arbre indien, dont les longues branches retombent en arcades, prennent racine, devenant elles-mêmes des arbustes et faisant autour du gros tronc de vastes galeries. Le duc, dernier représentant d’une de nos plus anciennes familles, est le type accompli du vieux gentilhomme français. Il passe ici les hivers, occupé à des travaux considérables d’agriculture et jouissant de ce beau climat nécessaire à sa santé. Il nous mène, malgré le soleil qui devient tropical, à l’extrémité de l’île, admirer la vue ravissante du fleuve, de la ville. C’est ici, dit la tradition, que fut déposé par sa mère le berceau de Moïse et que la princesse fille du pharaon le trouva parmi les roseaux.

Devant ce beau site, il me revient en mémoire une page que je relisais ce matin dans les Mille et une Nuits.

« Qui n’a pas vu l’Égypte n’a pas vu ce qu’il y a de plus singulier au monde, s’écrie le marchand persan. La terre y est toute d’or, c’est-à-dire si fertile qu’elle enrichit ses habitans. Si vous me parlez du Nil, y a-t-il un fleuve plus admirable ? Quelle eau fut jamais plus légère ou plus délicieuse ? Si vous regardez du côté de l’île que forment les deux branches du Nil, quelle variété de verdure, quel émail de toute sortes de fleurs, quelle quantité prodigieuse de villes, de canaux et de mille autres choses agréables ! Si vous tournez les yeux de l’autre côté en remontant vers l’Ethiopie, combien d’autres sujets d’admiration ! N’est-ce pas la ville de l’univers la plus vaste, la plus riche, la plus peuplée que le Caire ? Si vous allez jusqu’aux pyramides, vous serez saisi d’étonnement… Ces monumens si anciens que les savans ne sauraient convenir entre eux du temps qu’on les a élevés subsistent encore aujourd’hui et dureront autant que les siècles. Je vous en parle avec connaissance. J’y ai passé quelques années de ma jeunesse, et tant que je vivrai, je compterai ces années pour les plus agréables de ma vie. »


BLANCHE LEE CHILDE.