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la couvée. L’établissement est créé en plein désert, sur la lisière de la verdure, et la vue de la terrasse du toit est admirable. Notre cocher se lance à grandes guides à travers le désert et, après une demi-heure : d’un galop que les chevaux ont dû trouver un peu dur, la voiture s’arrête devant une magnifique plantation d’orangers et de palmiers entouré de murs. C’est le plus beau verger des environs du Caire. Les citronniers, les orangers, les grenadiers, les abricotiers misch-misch, les amandiers. sont fleuris ou en bourgeons. C’est vraiment une charmante propriété à posséder, toute en fleurs et en fruits. Nous ne voulons pas rentrer sans avoir vu le jardin de l’arbre de la Vierge. Celui-ci est tout autre très vieux et infiniment pittoresque. Le vénérable sycomore qui, dit-on, abrita la sainte famille lors de la fuite en Égypte, a traversé beaucoup de siècles, si ce n’est tout à fait assez pour justifier la légende. Tout autour, des plantes rustiques, des haies de rosiers échevelés, et puis une sakkieh avec des bœufs au repos, quelques Arabes qui fument couchés sous les haies de nopals, donnent un grand caractère à ce lieu paisible. J’ai toujours trouvé qu’un vieux jardin était une des plus jolies choses du monde, et ce coin de verdure est singulièrement attachante. La soirée est tiède, superbe : pas un nuage, mais toutes les teintes de rose, d’or et de vert, se fondant dans un universel rayonnement. Sur la levée qui suit la route, je revois ce charmant tableau, si fréquent qu’il pourrait être absolument typique de l’Égypte ancienne et moderne : un buffle aux lentes allures, monté par des enfans, se détache sur le ciel. L’un des gamins est assise et ses petites jambes noires et luisantes se confondent avec le pelage de l’animal. L’autre, debout sur la croupe, brandissant, une houssine, retient, de l’autre main sa chemise en haillons. Dans ce doux pays, les animaux, sont si doux que celui-ci, la terreur de la campagne de Rome, se laisse guider par la baguette d’un enfant.


1er mars.

Nous partons, en nombre pour Saqqarah. Le vice-roi a bien voulu prêter, un de ses bateaux à vapeur de plaisance à l’aimable consul de Belgique qui nous accompagne. Nous avons tous apporté notre part du déjeuner et du dîner : un orchestre joue sur une extrémité du pont, orné de tapis, de divans et de fleurs, et la journée s’annonce fort belle. A Bedrechein, une trentaine d’ânes choisis, venus du Caire par le train, nous attendent, et, par un soleil de feu, nous