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au-dessus des flots de poussière qu’ils ont soulevés. Verts, brodées de jaune, de blanc et d’or, variées selon les corps de métiers à qui elles appartiennent, elles sont portées au centre de groupes pittoresques. Des pèlerins à âne ou à cheval, ayant, eux aussi, des étendards brodés, alternent avec les marchands de la ville et attirent l’admiration passionnée de la foule. Partis simples fellahs, ils reviennent hadji, c’est-à-dire avec un caractère presque sacré. La procession continue toujours vers le pavillon, à cent mètres de nous, où le vice-roi et ses principaux ministres et officiers la saluent au passage. Maintenant, ce sont des derviches portant d’autres bannières richement ornées de croissans et de devises ; leur nombre est considérable et nous reconnaissons parmi eux les hurleurs qui nous avaient tant impressionnés. Au milieu, des cheiks splendidement vêtus, en manteau de pourpre ou de neige, aux robes tissées d’or, aux turbans bariolés, passent, montés sur des chevaux richement sellés. Un long intervalle se produit dans le cortège. Puis les hurlemens de la foule nous avertissent que le gemel, le dromadaire sacré, chargé du mahmal qui contient le tapis, est en vue. Le gemel est d’une taille énorme et porte haut le splendide dais de velours brodé d’arabesques d’or. Il est suivi par deux autres dromadaires qui doivent le soulager dans cette longue promenade. Derrière eux, un autre chameau est monté par le fameux cheikh-el-gemel, le saint derviche qui est censé faire chaque année le pèlerinage de la Mecque. Ce santon offre l’aspect le plus immonde. Enorme Silène nu jusqu’à ses caleçons blancs, ruisselant de sueur, la face rouge, ivre de hachich, roulant la tête, les yeux hagards, la longue barbe grise flottant au vent. Les dévots se jettent sur lui, pour le toucher, lui, sa selle, son chameau, la trace de ses pas. Vient encore une longue suite pittoresque de pèlerins, qui à cheval, qui à baudet, qui à chameau, l’œil superbe, impassibles sous leur turban vert de hadji.

Tout est fini. Nous rentrons glacés et las. Il paraît que le khédive a reçu un accueil très froid, tandis qu’à côté de lui Arabi-Bey a eu une véritable ovation. Le vice-roi en est, dit-on, très frappé et très attristé.


25 février.

Terrible ouragan tout le jour. Un khamsin froid souffle avec une violence effrayante : impossible de sortir. Les palmiers, courbés à terre de toute leur gracieuse hauteur et penchés d’un seul côté, deviennent laids et maladroits. Faits pour le repos, ils perdent avec