Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ancienneté presque impossible. Ce qui me frappe avant tout, c’est le ton d’or fauve de cette masse : comme elle mérite bien le nom gravé il y a soixante siècles dans ses flancs : « Knout la Brillante ! » C’est aussi le peu de destruction apparente dans cette énorme pile. Nous avons beau savoir que le revêtement extérieur, que les assises du bas ont été enlevées pour construire les grands édifices du Caire, rien ne semble l’avoir diminuée. Enfonçant péniblement dans le sol rocailleux et les monceaux de déblais et de pierres, nous en faisons le tour (presque un kilomètre entier). Un peu à l’ouest, au delà, se dresse la seconde pyramide, à peine moins haute et conservant une partie de son revêtement luisant qui la rend inaccessible. Elle me frappe moins ; est-ce parce que je suis tout absorbée par mon admiration pour celle de Chéops ? Est-ce parce que, plus loin, on en aperçoit une troisième moins grande, puis d’autres plus petites, puis d’autres encore ? Tout autour de nous, sur l’îlot de rochers qui fait une esplanade grandiose à celle famille de monumens, sont semées des tombes ouvertes, des excavations funéraires. Rien n’est fatigant comme de traverser ce sable, là où, amassé par le vent, il atteint de grandes épaisseurs. Les bédouins qui se sont attachés à nos pas en nombre, malgré nos réclamations, nous aident avec zèle. Je ne sais comment je serais arrivée, sans leur secours, jusqu’au temple de granit, découvert par Mariette, noyé dans le sable, en avant des grandes pyramides. Ici l’ancienneté, la grosseur extraordinaire des blocs, des murs de granit rose, confondent absolument l’imagination. Pas une moulure, pas un ornement. Des salles carrées, séparées par des assises de cinq à six mètres de long, lisses, aux jointures à peine visibles. Est-ce de l’architecture ? C’est, en tout cas, le dernier mot de la simplicité et de la force que ce monument de vingt siècles plus ancien qu’Abraham et que nous retrouvons dans toute la perfection de sa structure cyclopéenne. Contournant un monticule où nos pas enfoncent, nous arrivons dans un creux, devant une roche étrange qui émerge du sable. Le sphinx ? Est-ce bien là ce sphinx dont, entant, nous avons rêvé, qui résumait en une mystérieuse énigme toute cette légende de l’histoire d’Égypte ? Ce sphinx, que nous gardions comme le dernier mot, comme le couronnement de cette journée de merveilles ? Je crois que l’impression que l’on en reçoit dépend beaucoup du côté par lequel on arrive. Pour moi, le monstre gigantesque n’a été, à première vue, qu’un rocher représentant vaguement une tête humaine. Ma déception est cruelle. Ce n’est qu’en avançant, en gravissant les montagnes de sable que le vent accumule autour du colosse que j’arrive à le voir autrement, à le comprendre, malgré les mutilations de sa face, malgré l’ensablement de son corps. Néanmoins, le grand monstre, accroupi, sentinelle veillant sur les pyramides, son visage moqueur tourné