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la petite rue, en face de nous. La foule et les agens s’y engouffrent, puis reviennent tout penauds quelques minutes après, sans ramener de prisonnier.

C’est la journée aux aventures. Un peu plus tard, nouvelle rumeur. Cette fois la police a le beau rôle ; elle amène devant le kadi trois ou quatre femmes dans un état de rage extraordinaire. L’une d’elles, véritable furie, le visage et le sein découverts, les cheveux épars, couverte de bijoux d’or, gesticule, lève les bras au ciel comme une bacchante en délire. Elle fait revivre absolument les plus beaux bas-reliefs antiques. Nous ne savons vraiment pas, dans nos pays de conventions banales, jusqu’où peut arriver l’expression humaine, la fureur surtout, et restant cependant absolument belle. Le mouvement de cette femme qui, en passant devant nous, lançait des imprécations à l’impassible gardien de police, tout en arrachant à grands gestes des lambeaux de sa chemise, est une des plus belles choses que j’aie vues.

La journée finit, radieuse comme elle a commencé, et c’est en voiture ouverte que nous allons au « Christmas dinner, » chez le général comte B…

Lorsque nous rentrons, à minuit, par une tiède température, le ciel est encore brillamment constellé. C’est bien par une nuit comme celle-ci que les bergers, gardant leurs troupeaux, crurent à la bonne nouvelle : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! » et que les rois mages suivirent l’étoile qui les guidait vers la pauvre étable de Bethléem.


28 décembre.

Le temps est pour la première fois troublé. Néanmoins, une partie est organisée pour visiter les tombeaux des khalifes, et nous partons bravement, malgré un nuage menaçant. Nous sommes à âne. Une vraie caravane, où, comme toujours, âniers et baudets représentent le côté pittoresque, gâté singulièrement par nos tournures et nos costumes européens. Au milieu du quartier arabe, le plus populeux, dans un dédale de ruelles, le nuage crève, et une averse nous force à attendre, qui sous des auvens, qui dans les petites boutiques, où la bonne grâce égale les grandes manières. Partout un beau sourire, une parole courtoise nous accueille. Quand nous repartons, la terre détrempée des rues est devenue une vase gluante où hommes et bêtes ont peine à avancer. Ceux de nos âniers qui ont des chaussures de maroquins jaune les mettent soigneusement dans une des innombrables poches, dont leurs vêtemens sont garnis. Cependant nous continuons, gaîment à travers ces vieux quartiers aux moucharabiehs encore intacts et aux portails