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citronniers pliant sous le fardeau doré, des plates-bandes de rosiers en fleur entourées de haies de jasmin et puis de ces admirables poinsillades aux bouquets de feuilles cramoisies, qui, plantes de serre chez nous, sont ici de véritables arbres.

Au fond du parc, nous découvrons une construction de style rococo entourant un vaste bassin rempli d’eau, pavé de marbre et orné de riches balustrades. Des divans et de grands fauteuils dominent ce lac, car c’est ici que Méhémet-Ali, indolemment couché regardait se baigner l’escadron de ses esclaves favorites. Aux quatre coins de ce cloître peu religieux, des salons richement meublés et décorés abritaient ses fantaisies. Mais ici comme partout, l’abandon a envahi le coûteux édifice. L’albâtre et le marbre se détachent les soieries des divans pendent délabrées, les fauteuils vacillent sur trois pieds, les stores battent disloqués contre les fenêtres noires de poussière. Plus loin, de hideuses fabriques européennes, des kiosques, et des aquariums abandonnés, déshonorent lamentablement ce site charmant. Les Orientaux sont des enfans qui jettent au rebut leurs jouets lorsqu’ils ont un peu servi. Ce qui s’est gaspillé ici d’argent en fantaisies oubliées est formidable. Au retour, nous croisons toutes les voitures des harems qui viennent prendre le frais, car il est de bon goût ici de sortir le plus tard possible et de ne venir à Choubra que lorsqu’il est trop tard pour en jouir. Les voitures, même les plus élégantes, sont assez mal attelées. Les grands coupés des femmes de harem, que l’on y aperçoit voilées de gaze blanche très transparente, ont les plus granges fenêtres possible. Sur le siège à côté du cocher en livrée, l’inévitable eunuque, qui ne quitte jamais la précieuse couvée qu’il surveille, ou qu’il sert au dire d’aucuns. Il est rare qu’il ne soit pas dévoué à celui ou à celle qui le récompense le mieux, et, si la femme est plus généreuse que le mari ou plus riche les lettres et les messages du dehors trouvent un commissionnaire fidèle au lieu d’un délateur redoutable. Quelques-uns de ces « anges noirs » passent sur de splendides chevaux de selle. Comblés de cadeaux intéressés, ils amassent de grosses fortunes, et les plus riches ont surtout un grand luxe de chevaux qu’ils montent du reste, à merveille et où ils sont moins hideux qu’à pied. Le soleil se couche dans une immense auréole d’or et de pourpre. La silhouette des pyramides devient d’un bleu froid contre cet embrasement ardent du ciel. L’air se refroidit aussi, Rentrons vite.


23 décembre.

Hier, vu des bords du Nil, à Boulaq, le coucher du soleil a été splendide. Le ciel, marbré de veines rouges, roses, métalliques, le disque de feu descendant rapidement au milieu d’une bande vert