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alvéoles, en stalactites légères, tombent en lambeaux. Les oiseaux y font leurs nids, pénétrant par les fenêtres délabrées, et, en s’y disputant bruyamment, font tomber de gros fragmens de sculpture à nos pieds. Avant peu, ces belles inscriptions, disjointes, gondolées, auront sans doute disparu. C’est ici notre première expérience tangible de l’incurie désespérante que nous retrouverons partout. On ne répare rien au Caire, et les plus admirables choses, les plus vénérées, sont laissées à l’abandon. La mosquée de Hassan sera bientôt une des plus belles ruines de l’Egypte.

Un bel après-midi, nous finissons la journée par un tour à Choubra. C’est le jour élégant. Nous suivons la file des voitures très mélangées, et nous voici sous les sycomores légendaires de la promenade. Devant nous court notre saïs, une baguette à la main, les pieds et jambes nus, les caleçons bouffans, la chemise d’une blancheur éblouissante ; les grandes manches retroussées et rattachées derrière le dos sur le gilet brodé d’or ont une apparence d’ailes. Une large ceinture rayée de rouge et de vert lui ceint les reins, et sur la tête un bonnet rouge posé très en arrière laisse flotter jusqu’à la taille un très long gland bleu. Rien n’est comparable à la grâce rapide de ces Mercures, qui me rappellent à chaque instant celui de Jean de Bologne. On me raconte que quelques-uns sont les dernière restes d’une tribu de coureurs, tout entière vouée à ce rude métier. Autrefois, avant le chemin de fer et la vapeur, ils étaient les courriers de toute l’Egypte, se relayant aux différens villages, et toutes les dépêches passaient par leurs mains. Maintenant le nombre des voitures augmente chaque année au Caire, et ils sont indispensables dans les rues si encombrées, surtout pour faire ranger les innombrables aveugles. Cette allée de Choubra, les Champs-Élysées du Caire, est une route droite, parallèle au Nil, dont une haute chaussée la sépare, qui mène sous les ombrages au palais de plaisance de Méhémet-Ali. Le vendredi et le dimanche, jours de repos musulman et chrétien, le beau monde vient ici, et équipages, voitures de louage, chevaux de race et petits ânes trottinant se mêlent sous l’ombre profonde des branches entrelacées. Quelques villas sont construites de place en place, puis un des palais du khédive. Nous le croisons lui-même dans une calèche à deux chevaux fort bien attelée et entourée d’une très petite escorte de cavalerie. Il salue à tout instant et de très bonne grâce. Mais la figure, quoique agréable, est molle, faible, sans expression. Nous poursuivons jusqu’à Choubra et parcourons à pied les beaux jardins, mal soignés, mais remplis de plantes curieuses. Les arbres rares abondent : les plantes des Indes, du Japon, l’arbre sacré des brahmes au feuillage terminé par une pointe bizarre ; des acacias niloticas énormes tout poudrés de fleurettes jaunes. Plus loin, un verger d’orangers, de