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fellahines accroupies à terre autour de leurs corbeilles d’œufs ou de légumes, nous arrivons au bazar de l’As-Siagah, celui des orfèvres, où je veux faire refaire à la mode égyptienne un bracelet d’or très pur travaillé en France. Dans ce bazar, au rebours des autres, peu de choses à voir au premier abord : des passages couverts, tortueux, grouillant de monde, et si étroits que deux personnes à peine y passent de front. De chaque côté, de toutes petites boutiques, niches de 2 à 3 mètres carrés. On nous mène chez le fabricant spécial de ces bracelets tordus si chers aux Égyptiennes que, riches ou pauvres, elles en portent toutes une paire de ce modèle simple et d’une extrême antiquité : la pauvresse qui ne peut l’avoir en argent le porte en cuivre, et le cadeau de noces obligé de tout homme qui possède quelque chose est une couple de ces torsades d’or plus ou moins lourdes. Ici, il n’y a rien pour la montre. Un soufflet de forge, une enclume toute petite, une planche à hauteur d’appui, une tenaille, deux marteaux, et l’affaire est faite. Le marchand cophte (ils le sont presque tous dans ce bazar) est un jeune homme aux traits fins, à la barbe rare et courte, en longue robe sombre et turban blanc, des babouches jaunes posées devant lui, des bas fort propres et des mains irréprochables.

Il examine mon bracelet après nous avoir fait asseoir sur nos talons au bord de sa boutique, puis le bat en lingot et le jette au creuset. Pendant que mon bracelet fond, j’ai le temps de regarder le voisinage. Tout autour, des boutiques pareilles à la nôtre. Des femmes voilées y sont assises, accroupies, debout. Elles sont presque toutes de la classe inférieure, car leurs robes et leurs voiles sont de cotonnade. Elles marchandent, mais, je crois, n’achètent guère, car je vois pendant une demi-heure le même groupe de cinq gros fantômes voilés dont je ne distingue que les bras et les doigts bruns chargés de bijoux se passer, en discutant violemment, une paire de boucles d’oreilles en or et turquoises. Le marchand, beau vieillard vêtu de soie jaune, ne montre pas la moindre impatience, et lorsque le groupe disparaît, je le vois tranquillement ranger ses boucles dans un tiroir et reprendre sa cigarette. Mon lingot d’or sort tout chaud du creuset ; on le bat sur la petite enclume à côté de moi, on le réchauffe, on le rebat. Il s’allonge aminci à chaque retour. Le bijoutier mesure mon poignet du pan de sa robe, fait passer par une filière le brin d’or qui s’allonge encore. A vue d’œil il le juge assez étiré ; en deux coups de pince, sans le mesurer, il le replie exactement en trois, le tord ; de deux coups de marteau il en aplatit les extrémités et les reploie, le plonge dans du sable pour le nettoyer, verse dessus sa gargoulette d’eau, le polit avec le manche de son marteau ; d’un seul mouvement le ploie en rond, les deux extrémités se rencontrant ; sur l’une d’elles il frappe