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de chameau blanchâtres aux raies brunes, la tête enveloppée d’un châle blanc retenu autour des tempes par une corde ; des femmes de la basse classe en draperies bleu sombre, au voile noir traînant à terre et ne laissant voir que leurs yeux agrandis par l’antimoine ; des nègres de toutes les nuances, depuis le noir jusqu’au chocolat. Parmi tout cela circule le marchand d’eau, ployant sous le bouc gonflé de liquide qu’il porte sur les épaules et auquel les pattes rattachées ensemble, la peau couverte encore de poil et le cou garni d’un robinet donnent une apparence lamentable de vérité. Il se penche et d’un mouvement rapide remplit avec le contenu de son fardeau une tasse en cuivre reluisante comme de l’or. Buvons-en, car cette eau du Nil, un peu trouble quelquefois, est exquise et bienfaisante et le vendeur de moja est toujours le bienvenu. Voici de belles dames qui passent, bourgeoises ou femmes de marchands. Sous le manteau bouffant en taffetas noir qui les recouvre de la tête aux pieds et qu’elles retiennent fermé à la poitrine d’une main chargée de bracelets et de bagues, nous apercevons un voile blanc, une robe de soie rose ou vert tendre, et des souliers brodés d’or ou peut-être, hélas ! une bottine européenne.

Avec elles, une ou deux jeunes filles, reconnaissables à leur vêtement tout blanc, recouvert d’une mante blanche, et quelques esclaves noires. Subitement la foule, déjà si pressée, se serre davantage ; une file de chameaux dont la lente allure ne se dérangera pour personne fraie son chemin avec la plus grande impassibilité. Puis c’est un saïs fendant la foule en criant gare, et suivi d’un landau rempli de touristes, laids comme nous le sommes tous ici dans nos costumes étriqués. Derrière sont des chars traînés par des buffles ou des bœufs à bosse, des ânes trottant piqués par leurs âniers. Calmes au milieu de ce tourbillon, s’installent les vendeurs de sucrerie, de petits paquets de viande hachée ; leur plateau de marchandises est aussi rapidement enlevé que de nouveau replacé. C’est au milieu de cette mêlée inexprimable que se fait la vente à l’encan. Couverts de vêtemens d’occasion, de toutes sortes, sur la tête trois ou quatre châles, sur les épaules une pièce de soie, sur les bras des gilets brodés, des tapis, entre les mains un vieux pistolet d’arçon, des montres, des bagues, des turquoises, autour du corps une couverture tissée d’or roulée en ceinture, ces commissionnaires de tous âges, — il y en a à barbe grise et de tout enfans, — vous offrent, vous suivent, cherchant à faire une affaire ; puis courent plus loin, appelant, hurlant, riant. On fait, paraît-il, quelquefois d’excellens marchés, mais il faut attendre, marchander, perdre des heures entières, — et, j’allais l’oublier, savoir la langue, — car la transaction est tout à fait locale.

Fendant le flot perpétuellement intercepté par les groupes de