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une vingtaine de belles antilopes gambadent dans une cour ombragée de bananiers, sous nos fenêtres. Le soleil se couche en face de nous, admirable, et les palmes, se détachant en sombre vigueur sur l’orange violacé du ciel, complètent la féerie.


2 décembre.

Hier, nous avons fait les visites obligatoires d’arrivée rendues charmantes par l’accueil que nous trouvons partout. Ce matin, nous allons aux bazars, escortés par le plus aimable des beys. La place de l’Ezbékyeh, qui était autrefois, me dit-on, plantée de palmiers, pittoresque, orientale, est absolument haussmannisée. Le jardin est entouré d’une grille et, tout autour, de hautes maisons de location s’élèvent à l’instar de la rue de Rivoli. Puis le Mousky, la rue orientale par excellence, a maintenant un trottoir et des boutiques parisiennes. Elle n’est plus couverte ; des noms grecs ou allemands, des réclames, des enseignes du genre de la Belle Jardinière en déshonorent le caractère. On est en train de la macadamiser, et, dans le lointain, nous apercevons la lourde silhouette de notre ennemi des rues de Paris, la locomobile qui doit cette nuit écraser les cailloux et troubler le repos des vieux mahométans étonnés. De grands boulevards à moitié construits, créés par le khédive, abandonnés faute d’argent, s’écroulant faute de soins, attristent encore davantage. Que de coins ravissans, que de merveilles d’architecture ont disparu pour faire place à cette large voie, brûlante au soleil, balayée du vent, inégalement bâtie, à peine habitée ! Ici une maison, en construction depuis dix ans, dont le premier étage est seul terminé, a été louée à quelque cafetier, dans l’espoir qu’avec le prix de la location, on pourra achever le reste ; plus loin, deux étages terminés sont abandonnés et tombent en ruines. Une mosquée éventrée est traversée par un mur de briques qui en est devenu la façade. Le mur est neuf, reluisant, mais, par derrière, les beaux restes de l’antique architecture s’écroulent ; les colonnettes gisent à terre, le minaret s’émiette, la muraille nouvelle restera bientôt seule debout.

Nous rentrons dans les bazars, à travers les rues les plus pittoresques. C’est ici que je commence à comprendre le Caire, et l’impression première, sera ineffaçable. Chaque coin de rue est un tableau qui laisse bien loin ceux que j’admirais tant à Alexandrie. Les maisons sont hautes, et souvent les étages supérieurs, projetés en avant, se touchent presque au-dessus de nos têtes. Ce grand quartier marchand, fourmillant d’allées étroites, de couloirs sombres, est traversé parle Mousky, où nous passions tantôt, puis transversalement par une large rue tortueuse qui serpente d’une porte de la ville à