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avant tout dans cet amusant spectacle, c’est la beauté des femmes fellahs, — non celle de leur visage, car il est caché, ni celle de leurs yeux, très semblables parce qu’ils sont tous peints, ni de leur taille, car on ne la voit guère et ce qu’on en devine ou entrevoit est horrible, mais celle de leur costume, de leurs gestes, leur noblesse, leur démarche surtout, lorsqu’elles portent, en le soutenant de la main, un vase de cuivre balancé sur la tête, ou qu’elles tiennent sur l’épaule gauche un petit enfant qui s’y cramponne à califourchon. L’élégance de leurs longs vêtemens bleus, souples, sombres, de leur voile, de leur coiffure, ne se peut dire. Sur leurs bras, très bronzés, se détachent de gros bracelets d’or ou d’argent, tordus, de formes antiques. Ce qui est ravissant, c’est le costume des enfans de quatre ou cinq ans : un seul vêtement, sorte de robe de chambre flottante en coton rouge ou jaune à fleurs, des tons les plus violens, traînant sur les talons ; les pieds nus. Aux filles, deux petites tresses de cheveux noirs, très sales, tombent dans le dos ; de longues boucles d’oreilles, un fichu de mousseline peinte nouée autour de la tête, des bracelets, des dents et des yeux superbes, — quand ces yeux ne sont pas malades. Le reste de la figure est presque toujours laid. Beaucoup de nègres aussi, au visage souvent horrible, mais d’un grand caractère. Il faut pourtant quitter ces quartiers si intéressans, où le moindre groupe est un tableau d’une originalité complète. Nous traversons des quartiers neufs, laids, réguliers, avant de pénétrer dans les faubourgs sous une longue avenue de sycomores, bordée de petites maisons délabrées, grouillant littéralement d’enfans déguenillés, mais délicieusement pittoresque. Nous passons devant nombre de petits cafés borgnes, où de vieux Turcs fument le narghileh, les jambes croisées, les babouches de couleur rangées devant eux. La route est dans un état horrible ; des trous, des ornières énormes, des cochons fouillant au milieu des ordures sur lesquelles nous cahotons. Nous voici à la colonne de Pompée, qui, d’un tertre élevé, domine toute la ville, dernier vestige du portique sous lequel enseignait Aristote, de l’académie fondée par Alexandre, de la bibliothèque brûlée par Amrou. Mais ces souvenirs, qui devraient nous intéresser, sont rapidement mis en fuite. A quel usage, grands dieux ! sert aujourd’hui cet endroit, autrefois vénéré ! C’est à faire reculer les plus braves, et il faut choisir la place de ses pas avec des précautions infinies. Nous fuyons empoisonnés à travers les monticules de sable et de boue qui recouvrent l’ancienne ville, jusqu’au canal Mamoudieh, aux eaux lentes et jaunes. Nous longeons ses rives sous de beaux sycomores, bordant un jardin de palmiers ou de petites villas à l’italienne. La voiture enfonce dans des cloaques de boue. C’est pourtant la grand’route, très