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longtemps désunies de l’hellénisme. C’était l’hellénisme qui avait vaincu ; c’était l’hellénisme que l’Europe et l’Asie couronnaient dans le fils de Philippe. L’hellénisme cependant n’était pas plus la Grèce que la révolution française ne fut l’empire agrandi des Gaules ; l’hellénisme était un mode de civilisation nouveau envahissant peu à peu l’univers. Alexandre et Napoléon auraient songé à borner leurs conquêtes que la cause dont ils étaient les représentant n’en eût pas moins poursuivi sans eux et, en quelque sorte malgré eux, sa marche irrésistible.


IV

Les sinistres présages semblaient cependant se multiplier pour décourager Alexandre : son entrée à Babylone, déconseillée par les prêtres chaldéens, s’était accomplie sous des auspices funestes, les entrailles des victimes n’annonçaient que deuils et catastrophes ; un vent soudain, pendant que la flotte naviguait sur les lacs de l’Euphrate, avait emporté au loin la couronne et le diadème royal. Augure plus redoutable encore, dans le palais même, un inconnu, trouvant le trône vide, venait insolemment s’y asseoir. L’alarme gagnait insensiblement les cœurs les moins sujets à de puériles terreurs. Ne devrait-il pas suffire, en effet, pour s’alarmer, de se voir parvenu au faîte des prospérités humaines ? Un instinct secret ne vient-il pas nous avertir alors que le moment approche où le sort jaloux réclamera sa revanche ? Alexandre néanmoins, convaincu que sa tâche n’était encore qu’à moitié remplie, refusait obstinément de prêter attention à tant d’indices fâcheux : il exerçait sa flotte, excitait ses trières et ses quadrirèmes à se disputer le prix de la course ; il s’occupait, en outre, de faire entrer dans les rangs des phalanges macédoniennes affaiblies 20,000 soldats perses que lui amenait Peuceste. Les Tapuriens des bords de la mer Caspienne, les Cosséens eux-mêmes, si récemment soumis, apportaient leur contingent d’hommes belliqueux et robustes à l’armée, que le roi mettait tous ses soins à reconstituer. On sait que les files de la phalange se composaient de seize hommes : chaque file des phalanges nouvelles comprit quatre Macédoniens et douze Asiatiques. Les Macédoniens seuls conservèrent la sarisse et l’armure défensive de l’hoplite grec ; les Perses furent armés de flèches et de javelots.

Tout allait être prêt : la flotte rassemblée se balançait sur ses ancres et Alexandre se voyait déjà côtoyant les rivages de l’Arabie, longeant l’Ethiopie et la Libye, qu’il croyait plus proches du Golfe-Persique que ne l’est en réalité la côte de Zanzibar, franchissant à l’extrémité de sa course le détroit de Gadès et laissant derrière lui