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macédoniennes, entièrement refaites par ce long séjour au sein d’un pays fertile, des champs nyséens à la capitale de la Médie.

La route d’Opis à Ecbatane, par la Sittacène et la Bagistane, est une des plus fréquentées de l’Orient, car c’est encore celle que suivent les caravanes qui, parties de Chiraz ou de Téhéran traversent les massifs montagneux d’Hamadan et de Kermanshah pour gagner par Bagdad la cité des funérailles saintes, Kerbelah. Flandin l’a décrite en partie ; Buckingham nous l’a fait connaître tout entière.

Un grand deuil, une immense douleur attendait Alexandre à Ecbatane : Éphestion lui était enlevé en sept jours par une maladie dont la gravité ne fut pas soupçonnée au début. Le désespoir violent auquel le roi se livra, les marques outrées qu’au dire de la plupart des historiens il donna de son affliction n’ont pas laissé de rencontrer l’incrédulité d’un juge plus délicat en matière de critique que Plutarque, Diodore de Sicile et Quinte Curce. Arrien révoque en doute « ces excès de douleur, indignes, suivant lui, d’Alexandre et d’un roi. » C’est à peine s’il admet les obsèques magnifiques dont nous ont entretenus les autres historiens, obsèques dont les frais se seraient élevés à la somme exorbitante de 10,000 talens, — plus de 55 millions de francs. — Le scepticisme d’Arrien me paraît jusqu’à un certain point justifié : la perte d’un ami est sans doute plus cruelle pour un roi que pour l’homme privé, qui n’est pas exposé à perdre du même coup le confident de ses pensées intimes et le dévoué concours nécessaire à l’accomplissement de ses grands desseins ; mais un roi a trop de devoirs à remplir pour être libre de s’abandonner longtemps à des regrets qui le détourneraient du soin de son empire, — tâche non moins laborieuse que celle de Sisyphe, tâche ingrate et dure que connaissent mal sans doute ceux qui la convoitent, car elle constitue certainement le plus assujettissant et le plus impérieux des esclavages.

Quelle œuvre que celle d’un Bossuet ou d’un Fénelon chargé de former l’âme du futur héritier du trône ! Ces deux grands esprits n’ont eu cependant à préparer un roi que pour une monarchie bien assise : saint Louis était un modèle tout trouvé pour leur royal élève. Le prince destiné par le sort à présider à l’éclosion ou au développement d’un monde nouveau aurait eu très probablement besoin d’autres leçons. Alexandre n’a pas été moins pleuré par les Perses que par les Macédoniens ; si Aristote ne lui eût appris qu’à bouter, le cas échéant, de la dague dans le ventre aux infidèles, je doute fort que ses funérailles eussent été honorées des larmes des nations vaincues. Alexandre, dira-t-on, n’a-t-il donc pas, lui aussi, exterminé des tribus entières ? Je ne le nierai point ; il me suffira de faire observer que la disparition de ces tribus sauvages répondait