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Le plus important de tous, celui qui devrait être le plus humain, celui qui serait le plus facilement historique, le roi, s’explique justement là-dessus dans un discours où s’épanche la philosophie de l’auteur :

: N’être pas même un roi ! Misère ! être un royaume !


Il dirait mieux encore s’il disait : une royauté. La confession, telle quelle, vaut cependant qu’on la retienne. Est-ce là Ferdinand le Catholique, ce « véritable auteur de la puissance espagnole, » ce politique serré, attaché à sa besogne, d’une activité si dure, d’une perfidie si forte ? Est-ce là cette Isabelle, toujours à cheval au front de ses troupes, lorsqu’elle n’expédiait pas avec ses secrétaires les affaires de l’état, cette Sémiramis de la Castille, d’une si prodigieuse énergie, qui fit pour la prise de Grenade plus que toute son armée, et, sans diminuer son roi, sut être une grande reine ? Non, ce n’est ni l’un ni l’autre, mais plutôt, — comme le dit lui-même ce Ferdinand rêveur,

: deux larves,
: Deux masques, deux néans formidables, le roi,
: La reine — elle est la crainte et moi je suis l’effroi !


Je ne sache pas que l’effroi ni la crainte soient des personnages humains et possibles, encore moins des personnages historiques. Et, pourtant, c’est de personnages historiques que le poète leur a donné l’air en les affublant de costumes, et c’est à ce titre qu’ils paraissent prétendre à la qualité d’humains.

Victor Hugo a gardé le souci de la localité du costume. Le prologue, qui, d’ailleurs, tient plus d’un tiers du drame, suffit à montrer comme l’auteur est hanté par l’histoire. Nous sommes dans un couvent, mais dans lequel ? Non pas dans un couvent quelconque. C’est « le monastère Laterran, de l’ordre des augustins et de l’observance de Saint-Ruf ; » il dépend de deux chefs : « l’un à Cahors, l’autre à Gand. » Quelques chicaniers pourront dire que « Cahors » est là pour rimer avec « dehors » et « Gand » avec « intrigant, » mais que réellement le chef de l’ordre habitait Avignon. Les mêmes se demanderont si le « vicomte d’Orthez » est bien en effet l’abbé de ce couvent, ou s’il n’est là que pour rimer avec « la règle Magnates, » — à moins que cette règle, au contraire, ne soit inventée pour lui fournir une rime : aussi bien il se peut que l’un et l’autre soient inventés du même coup pour rimer ensemble. Les mêmes encore examineront si vraiment existèrent, et, dans cet ordre, les seigneurs féodaux dont le poète fait descendre don Sanche : Loup Centulle, duc des Gascons,

: Puis Luc, roi de Bigorre, et Jean, roi de Barège,
: Puis le vicomte Pierre, et Gaston Cinq…
: — Abrège,