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signification, on pourrait s’en convaincre en examinant ces deux grands ouvrages, qui ont entre eux beaucoup de ressemblance, mais dont l’expression est si différente qu’on ne songe pas tout d’abord à les comparer. Nous avons nommé le groupe commémoratif de la Défense de Saint-Quentin, par M. Barrias, et Quand même ! autre groupe destiné à perpétuer la mémoire de la résistance victorieuse de Belfort. Tous deux représentent la figure symbolique d’une ville en costume moderne soutenant un soldat mourant. C’est la même donnée, et cependant il nous semble que personne ne pense à remarquer qu’il existe entre eux quelque similitude. C’est que chacun d’eux répond à un ordre d’idées particulier, porte la marque d’une inspiration personnelle.

La ville de Saint-Quentin, comme une habile ouvrière que la guerre est venue surprendre en plein travail, s’est levée toute pleine de courage. Elle est près de son rouet et elle tient encore sa quenouille. Un garde mobile frappé à mort s’affaisse sur quelques débris qui figurent une barricade improvisée : elle le recueille, tandis qu’un enfant qui s’avance en rampant va se saisir du fusil que laisse échapper le moribond. Tel est le premier groupe qui rend aussi clairement que le permet l’allégorie le fait douloureux dont la ville de Saint-Quentin a voulu consacrer le souvenir. M. Barrias y a mis son intelligence, son talent vigoureux et patriotique. L’enfant qui intervient pour continuer la lutte est bien imaginé. Il donne à penser que tout n’est pas fini : c’est une idée qu’il faut entretenir et la figure qui la personnifie est bonne à mettre sur une place publique. La composition de M. Mercié entre dans moins de détails : elle devait être plus simple. Belfort est une Alsacienne debout et fière. Devant elle, à sa droite, un soldat succombe en lui faisant un rempart de son corps. D’un geste admirable dans sa naïveté héroïque, elle le soutient en le saisissant d’une main par la tunique, tandis que de l’autre elle se couvre avec le fusil dont son défenseur ne se servira plus. Son attitude est superbe : elle brave, elle provoque, elle atteste une énergie invincible. Oui ! Quand même ! Sous une autre forme et avec un égal sentiment, nous retrouvons tout entier l’auteur du Gloria victis. A ne prendre que le mot-à-mot de l’histoire, est-ce bien là ce que devait exprimer un monument élevé à Belfort à la suite de la guerre ? et voyons-nous paraître ici, à côté de la défense, l’idée de la libération du territoire ? Mais grâce à l’artiste, notre pensée monte plus haut. Dans sa généralité, dans son idéal, ce groupe de M. Mercié rend avec force l’image de Belfort acropole inviolée de nos provinces perdues, et par un juste hommage il dit que l’espoir de la délivrance repose sur l’indomptable patriotisme des femmes d’Alsace.

Arrêtons ici notre examen. Sans doute on trouverait encore au