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d’interpréter les compositions de Raphaël et du Titien, étaient au contraire trop pénétrés des traditions byzantines, qui s’étaient maintenues dans la ville des doges jusqu’en plein XVIe siècle. Les résultats obtenus laissèrent donc beaucoup à désirer ; ici on abusa des tons conventionnels du moyen âge, l’or, l’azur, le pourpre, alors qu’il fallait revenir à la coloration à la fois claire et chaude de l’antiquité ; ailleurs, on copia servilement les fresques ou les tableaux (à cet égard nous avons vu que l’antiquité n’avait pas été absolument irréprochable), au lieu de les traduire, avec une entière indépendance, dans cette langue sonore et harmonieuse propre aux mosaïstes de Pompéi. L’imitation de la peinture, tel sera désormais le but que se propose la mosaïque. « Dans cette folle tentative, — c’est encore M. Vitet qui parle, — il faut que celle-ci descende aux tours de force, aux procédés microscopiques, qu’elle abdique sa vraie puissance, qu’elle s’amollisse, qu’elle s’effémine et tombe à ces froids trompe-l’œil qu’on montre à Saint-Pierre de Rome comme les miracles du genre. »


Aujourd’hui, grâce à l’initiative de quelques artistes qui n’ont pas voulu se laisser distancer par les hommes d’étude, la mosaïque promet de redevenir un art vivant. Le premier, M. Garnier a montré quels effets de libre et puissante décoration on pouvait tirer de ces incrustations dans lesquelles on s’était habitué à ne plus admirer que le fini. Le succès obtenu par les masques tragiques incrustés dans le plafond de la loge extérieure de l’Opéra a décidé le gouvernement à établir à la manufacture de Sèvres un atelier de mosaïstes. L’institution naissante, à laquelle M. Georges Berger a tracé sa voie dans un rapport remarquable, n’a compté au début que des Italiens ; aujourd’hui, les élèves français, formés sous leur direction, commencent à prendre part aux travaux. La traduction des cartons d’un peintre éminent, qui s’est familiarisé par un long séjour et des études assidues avec les chefs-d’œuvre de la mosaïque italienne, et qui sait unir à la sereine majesté des maîtres d’autrefois une émotion toute moderne, tel est le but proposé à leurs efforts : les compositions de M. Hébert s’incrustent en ce moment sur les murs du Panthéon. Les esquisses qui ont servi à les préparer auraient mérité d’inaugurer le Salon d’une nouvelle espèce qui, en 1882, pour la première fois, a pris place à côté du Salon traditionnel et qui est appelé à consacrer la réhabilitation, la tardive revanche des arts décoratifs.


Eugène Müntz.