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primitif tout entier. Aucun autre ensemble ne réunit au même point la magnificence et la noblesse. La forme du monument est celle d’une croix grecque, ayant ses bras voûtés en berceau et son centre surmonté d’une coupole ; dans la décoration de ses différentes parties, le mosaïste a prodigué les ornemens les plus riches et les plus gracieux : étoiles, rosaces, grecques, méandres, guirlandes émergeant de corbeilles multicolores, rinceaux d’or. Des cerfs se désaltérant aux sources vives de la foi, des colombes buvant dans un vase, enfin les figures des apôtres et les symboles des évangélistes mêlent à l’élément purement ornemental l’élément symbolique et historique. Mais c’est surtout dans les deux tableaux incrustés, l’un dans la lunette qui surmonte la porte, l’autre dans la lunette du fond, que les droits de la foi et de la pensée se font jour. Le premier nous montre le Christ assis au milieu de son troupeau ; les traits du jeune dieu, avec ses yeux pleins de tendresse, sa bouche souriante, ses longs cheveux blonds ombrageant son visage imberbe, du galbe le plus pur, rappellent l’Apollon antique, avec je ne sais quelle douceur et quelle suavité introduites par le christianisme dans le type traditionnel. L’élégance du costume ajoute encore au charme de cette figure délicieusement juvénile : il se compose d’une tunique d’or, qui laisse à nu le cou et les pieds, et d’un manteau pourpre dont l’extrémité repose sur les genoux du divin pasteur ; celui-ci, tandis que de son bras gauche, noblement arrondi, il soutient une croix d’or à longue haste, livre sa main droite aux caresses d’une brebis qui vient la lécher ; son regard embrasse en mêtne temps les autres brebis, debout près de lui et attentives à sa voix ; un paysage pur et calme, avec quelques arbres et quelques rochers, se détachant sur un ciel d’un Lieu clair, complète le tableau.

La peinture qui fait face au Bon Pasteur montre une inspiration bien différente : si dans la première on admire la douceur et la majesté des traits du Christ, la noblesse de son attitude, la touchante affection que lui témoigne son troupeau, et surtout l’ineffable sérénité répandue sur toute la scène, dans la seconde tout est mouvement et passion ; l’une ressemble à une idylle, l’autre à un chant de guerre. On a longtemps discuté sur la signification de cette dernière ; aux yeux de bon nombre d’archéologues, le personnage qui y est représenté, s’avançant, ou plutôt courant, un volume à la main, vers un brasier ardent, ne serait autre que le Christ jetant au feu les livres des hérétiques, tandis que les volumes placés de l’autre côté du brasier, dans une armoire, les écrits des évangélistes, bravent les atteintes des flammes. L’intolérance de Placidie, les décrets récens de Théodose et de Valentinien, ordonnant de brûler les ouvrages des nestoriens, des décrets analogues rendus vers la même époque