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parurent seuls dignes de figurer dans la décoration d’une église ou d’un palais. Dans les peintures parvenues jusqu’à nous, on peut suivre d’âge en âge les progrès du faste ; bientôt, sauf pour le Christ et les apôtres, la toge antique, si noble, si simple, est remplacée par des costumes byzantins étincelans de pierreries ; la Vierge, les saints, les donateurs disparaissent sous le poids des broderies et des gemmes. Les auteurs des inscriptions tracées au-dessous des mosaïques ne font plus que conjuguer les verbes lucere, micare, splendere, coruscare, fulgere, radiare, ce n’est plus la noblesse de l’invention, le sentiment de la vie, la force de l’expression qu’ils célèbrent, c’est uniquement la richesse et l’éclat.

Le souci de l’étiquette complète la recherche de la pompe. « Auparavant, dit M. Charles Bayet, dans ses savantes études sur l’Histoire de l’art byzantin, le style était plein de naturel, les attitudes simples et sans contrainte ; à partir du IVe siècle, ces qualités charmantes commencent à disparaître. Il semble qu’on soit choqué de ces allures familières, qu’on les évite comme un manque de dignité et de tenue. Ce Christ qui ne se distingue point de ceux qui l’entourent, qui se mêle à tous, a quelque chose de trop populaire. Il est roi et l’art doit le faire sentir. Les écrivains, dès cette époque, donnent l’exemple de ces rapprochemens tout matériels entre la royauté divine et la royauté terrestre. Au début du panégyrique de Constantin, Eusèbe s’y étend longuement ; il nous présente Dieu, l’empereur céleste, comme une image agrandie de l’empereur d’ici-bas. « Les arcs du monde lui servent de trône, la terre est son escabeau. Les armées célestes montent la garde autour de lui, les puissances surnaturelles sont ses doryphores, elles le reconnaissent pour leur despote, leur maître, leur roi. » Et la comparaison continue et se développe avec une singulière richesse d’images. Aussi, dans le domaine de l’art officiel, donnera-t-on désormais au Christ un costume plus éclatant, un aspect plus majestueux et plus imposant. Il s’est mêlé à la foule, sans doute, mais en monarque qui ne se confond pas avec elle ; on doit pouvoir le reconnaître en toute occasion à des signes distinctifs. Du reste, sa véritable place est sur le trône, sur ce trône byzantin, tout resplendissant d’or et de gemmes[1]. »

Sous l’empire des mêmes préoccupations, l’ordonnance, le coloris, le style des peintures, qu’il s’agisse d’incrustations ou de fresques, — ces dernières n’apparaissent plus guère que lorsque le temps ou l’argent manque pour recourir à la mosaïque, — subissent des modifications non moins profondes. C’en est fait de ces pages brillantes,

  1. Recherches pour servir à l’histoire de la peinture et de la sculpture chrétiennes en Orient, p. 54, 55.