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cabinets se sont abstenus de toucher à cette question, si urgente qu’en ait pu être la solution.

C’est une besogne ingrate. On n’est soutenu que par une minorité bruyante, — la majorité des habitans de Londres est indifférente ou hostile, la province n’a pas d’enthousiasme pour cette réforme, qui doit profiter uniquement à la capitale. Il y a des intérêts puissans que toute tentative effarouche. La cité n’a pas de sympathie pour M. Gladstone, qui menace l’ascendant de la ploutocratie ; elle redoute toute innovation qui pourrait avoir pour résultat de rendre aux citoyens le contrôle de leurs affaires. Les nestries disposent de milliers de petits fonctionnaires qui craindront d’être dépossédés. Les conservateurs de toute catégorie ont une peur instinctive de toute réforme qui éveillerait la vie populaire dans la grande capitale et qui compromettrait l’influence qu’ils prétendent avoir. L’aristocratie, qui possède des rues et des quartiers, aura des inquiétudes : un conseil municipal avec des opinions avancées peut vouloir imposer des charges autrement lourdes que celles qui pèsent aujourd’hui sur la grande propriété foncière métropolitaine. Ils craindront qu’il n’arrive à Londres ce qui se passe à New York, où la taxation municipale, imposée par une majorité qui ne paie pas de taxes, est intolérablement lourde.

D’autre part, on ne peut se figurer jusqu’où va l’apathie des habitans de Londres pour ce qui touche à la vie municipale. Cet état d’esprit se comprend lorsqu’on pense à l’énormité de la population, aux distances. Londres est une expression géographique, ce n’est pas une chose vivante. Pendant huit mois de l’année, le West End est à moitié vide d’habitans ; les grands marchands de la cité et même les plus aisés d’entre les boutiquiers résident à une certaine distance de leurs bureaux ou de leurs magasins. Tout ce monde ne s’intéresse guère aux affaires métropolitaines. Un habitant de Birmingham ou d’Edimbourg qui vient vivre à Londres perd tout sentiment municipal, — les gens nés dans la capitale ne l’ont jamais éprouvé. Londres leur est toujours apparu comme une collection de paroisses, ils ont été déroutés par la quantité de diverses autorités et ils ont peu songé aux avantages personnels qu’une réorganisation du gouvernement municipal pourrait avoir pour eux. Les élections parlementaires se font à Londres au milieu d’une absence d’esprit public, qui est encore bien plus marquée lorsqu’il s’agit de voter pour les vestries. Il n’est guère probable qu’une modification dans la législation existante puisse faire naître ce sentiment civique.

Un conseil municipal, élu directement par une ville aussi immense, représentant près de 4 millions d’habitans, disposant d’un budget de 150 millions de francs, semble une assemblée bien puissante ; il peut vouloir s’arroger des fonctions politiques. Est-ce que