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qui n’est nullement réclamée par la majorité des intéressés, les habitans de Londres ; la vaste population sur laquelle on veut expérimenter ne se plaint pas du régime sous lequel elle vit, et elle ne suggère pas de remède à des maux dont elle n’a pour ainsi dire pas conscience. L’agitation est artificielle : lorsque vous prenez en main les rapports de la Ligue pour la réforme municipale de Londres, vous arrivez vite à la conviction que vous avez devant vous un petit groupe de réformateurs obstinés, qui veulent façonner l’administration de la capitale sur le modèle des grandes villes de province sans tenir compte de différences fondamentales. Ces radicaux ont sous les yeux l’exemple de Birmingham, où leurs coreligionnaires politiques exercent une sorte de monopole ; ils espèrent infuser un esprit semblable à la capitale et contrecarrer l’influence conservatrice des clubs et des salons du West-End. Ils voudraient mettre la main sur l’ensemble des départemens qui constituent l’administration de Londres et qui sont détachés aujourd’hui les uns des autres, comme la voirie, les écoles, les hôpitaux, ou bien qui dépendent de l’état, comme la police, ou de compagnies particulières, comme le gaz et l’eau.

« Une plus grande confusion de gouvernement n’a jamais existé en temps de paix dans aucune grande ville du monde, » disait en 1881 M. Bright à la chambre des communes[1]. Ce jugement a un. fond de vérité : l’administration de Londres est un enchevêtrement de juridictions indépendantes. La capitale n’est pas soumise à une autorité municipale unique, — ce qui est l’idéal des radicaux, — mais à un grand nombre d’autorités dont aucune n’est élue directement par les contribuables. Ces juridictions se croisent si bien que, si l’on traçait une carte de Londres et que l’on coloriât les divers districts des diverses autorités, on trouverait plus de trois cents subdivisions. Considérez seulement ce qu’on est convenu d’appeler les fonctions municipales, et vous les trouverez réparties entre le School Board of London, qui a le contrôle de l’éducation, — le Local Government Board, qui applique la loi des pauvres, — le ministre de l’intérieur, de qui dépend la police, — les Conservancy Boards, qui ont soin des rivières. A côté de ces pouvoirs isolés, il y a la juridiction spéciale du Bureau des travaux publics, qui embrasse les grands égouts, les ponts, la voirie, les parcs, etc. ; celle-ci s’étend à toute la capitale, à l’exception d’une portion excessivement restreinte, la cité, qui a conservé ses richesses et ses privilèges, qui se complaît dans son isolement et qui redoute toute

  1. « L’administration municipale de Londres est un chaos en voie de transformation, » a dit ici-même M. Cochin. (Voyez dans la Revue du 1er juin 1870, le Régime municipal des grandes villes.)