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contagieuse du génie : sous un autre souverain qu’Alexandre, cette sève généreuse se serait en quelques instans épuisée ; c’est lui qui l’entretient, lui qui, par ses exemples, par ses encouragemens, la provoque sans cesse à un nouvel essor. Sangala était une place indienne ; il ne faut donc pas que notre imagination lui prête les murailles de Tyr ou celles de Babylone ; nous devons, je crois, nous la figurer entourée de remparts peu élevés pour la construction desquels la brique séchée au soleil aura tenu lieu du granit absent. Les villes de guerre chinoises nous offrent encore à Canton, à Shanghaï, partout en un mot où une garnison tartare a cru nécessaire de se loger, le spectacle de ces fortifications peu solides. — La grande étendue qu’occupait Sangala en rendait cependant l’investissement difficile ; ajoutez que, des quatre faces de l’enceinte, il en était une que couvraient complètement un lac et un marais. En quelques jours, Alexandre n’a pas laissé aux assiégés d’autre issue que ce chemin fangeux ; les trois autres côtés de la ville sont enveloppés par une double ligne de circonvallation. Des transfuges viennent bientôt annoncer au roi qu’une sortie générale se prépare ; les Indiens veulent profiter pour évacuer la ville de la seule voie qui leur reste encore ouverte. Qu’importe que la voie soit ouverte si le débouché ne l’est pas, si la chaussée jetée sur le marais peut être barrée à son extrémité ? La voie de salut devient alors un piège. Alexandre se réjouit de voir les Indiens précipiter par leur impatience le dénoûment que des approches régulières lui auraient fait plus longtemps attendre. Pendant que de nombreuses patrouilles de cavalerie circulent constamment autour de la place, Ptolémée, avec trois mille hypaspistes, tous les Agriens et un bataillon d’archers, va se poster secrètement aux abords de la levée de terre qui traverse la partie marécageuse du lac.

Poussés par le désespoir, les assiégés pourraient faire une trouée dans l’embuscade qui leur est ainsi tendue ; Ptolémée prend les précautions usitées en pareille circonstance : il commence par embarrasser le chemin. On s’était déjà préparé à réunir par une palissade les deux bras convergens de la ligne de circonvallation ; des pieux coupés dans la forêt voisine jonchaient de tous côtés le sol ; la troupe de Ptolémée s’en empare, les plante en terre à la hâte, bouche les vides à l’aide des chariots pris sur les Indiens, et la nuit n’a pas encore fait place au jour que la besogne, rapidement menée, est complète. Vers trois heures du matin, les portes de la place s’ouvrent ; une foule énorme se précipite à travers le lac et le marais sur la chaussée. Ptolémée la laisse s’engager assez avant pour être bien certain de pouvoir lui couper la retraite. Dès qu’il la voit approcher de la barricade, il donne le signal : les soldats se lèvent et se déploient en cercle ; les trompettes sonnent l’alarme, de toutes