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L’Angleterre, pour sa part, a sans doute souvent varié. Elle a ses objections et ses réserves, même quand elle se prête à quelque e démonstration ; on sent qu’elle craint de s’engager, qu’elle est plutôt préoccupée sans cesse de se dégager, au risque de paraître se désavouer. Le secret des variations apparentes de l’Angleterre est bien simple : le cabinet de Londres veut se ménager tous les moyens pour mieux sauvegarder ses intérêts. La France, elle aussi, a certainement varié. Elle a des nuances différentes d’attitude et de langage, selon les ministères présens au pouvoir.

M. Barthélémy Saint-Hilaire a été le premier ministre des affaires étrangères ouvrant une négociation pour prêter appui au khédive contre l’anarchie militaire, pour mettre en sûreté, dans tous les cas, les intérêts des deux puissances, et il n’a pas eu le temps de réaliser ses idées ; il n’est pas allé au-delà de quelques propositions vagues ou préliminaires. — Avec le cabinet du 14 novembre, la politique change, ou, si l’on veut, la politique de la France s’anime et s’accentue. M. Gambetta s’émeut de la situation de l’Égypte, de l’arrogance de la sédition militaire qui menace de détruire l’équilibre égyptien, de l’intervention de la chambre des notables qui peut mettre la main sur le budget et annuler le contrôle européen. Il cherche à se faire des idées, à éviter tout à la fois une intervention turque et une délibération européenne, en réservant la question à la France et à l’Angleterre. Il n’est point douteux que M. Gambetta, inquiet de la précipitation et de la gravité des événemens, a cru pouvoir amener l’Angleterre à une coopération plus décidée. Dans sa pensée, la note collective du mois de janvier, qui offrait au khédive l’appui des deux puissances, — avec cette réserve singulière toutefois qu’on ne s’engageait pas sur le « mode d’action, » cette note n’était qu’un prélude. Le président du conseil du 14 novembre se trompait, il risquait de se jeter seul dans une aventure s’il avait voulu aller plus loin : une dépêche de lord Granville, récemment publiée, atteste assez qu’il n’aurait pas été suivi. Dans tous les cas, M. Gambetta représente évidemment l’idée d’action poussée jusqu’à l’intervention militaire, jusqu’à l’occupation de l’Égypte. — Avec M. de Freycinet, la politique change encore une fois : elle se retire ou s’efface. La politique du nouveau cabinet a même peut-être changé plusieurs fois, elle paraît sensiblement modifiée à quelques semaines de distance. Lorsqu’il y a un peu plus d’un mois, le gouvernement était interpellé sur ces affaires égyptiennes, comment s’exprimait M. le président du conseil ? « Nous sommes préoccupés, disait-il, de conserver à la France la situation particulière, la situation privilégiée, justement prévilégiée, qu’elle a en Égypte, l’influence prépondérante que lui ont acquise les concours de toute nature qu’elle a prodigués-à ce pays depuis plus d’un siècle, l’influence que lui assure la présence d’une colonie française qui porte haut et ferme et