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des cultes, M. Boysset ne parait pas se douter que la dotation du clergé catholique n’est pas autre chose qu’une indemnité représentant à peine le quart des biens confisqués à l’église en 1790. Où les jurisconsultes et les historiens les moins suspects de tendresse pour l’ancien régime n’ont vu qu’une restitution partielle, il trouve « un privilège d’argent, une violation formelle du droit et de la justice. » Privilégiés, des gens auxquels on a pris leurs biens quand on ne leur coupait pas la tête, et auxquels on sert en échange une petite rente ! La justice et le droit violés ! Oui, mais par qui ? Par les spoliateurs ou par les spoliés, par les pauvres diables qui pour un morceau de pain[1] consument leur vie dans le plus ingrat des métiers, ou par ceux qui leur reprochent et qui voudraient leur enlever ce morceau de pain ? On parle beaucoup de justice et de fraternité sur les bancs où siègent M. Boysset et ses amis ; mais il en est de ces mots comme de celui de patrie dans les manuels de M. Paul Bert ; pour qu’ils aient un sens, il faut toujours y ajouter une épithète. La justice n’est plus la justice tout court, elle est devenue républicaine, et la France n’est plus la France, elle s’appelle la république.

Dès lors, — et c’est à quoi conclut très logiquement M. Boysset, — le gouvernement actuel ne saurait être lié par les contrats intervenus sous ses prédécesseurs et, pour les abroger, il n’est pas nécessaire de les dénoncer au préalable, une simple loi suffit. Que cette doctrine audacieuse, subversive du droit international et du droit des gens n’ait pas chance d’être admise par les chambres, c’est très vraisemblable, mais le seul fait qu’elle ait pu se produire dans un document législatif sans être énergiquement désavouée, est déjà singulièrement significatif et d’un bon augure, sinon pour les partisans de la séparation de l’église et de l’état, du moins pour ceux qui comme M. Paul Bert voudraient soumettre l’église à de nouveaux règlemens de police.

De police, disons-nous : tel est bien effectivement le caractère de la première proposition déposée par l’ancien ministre de l’instruction publique et des cultes de M. Gambetta, et il n’y a pas d’autre mot pour la qualifier. N’y cherchez pas l’application de la célèbre formule de M. de Cavour : « L’église libre dans l’état libre. » M. Paul Bert ne s’attarde pas à ces vieilleries, et vous lui feriez injure en le soupçonnant d’un peu de libéralisme et de générosité. De la générosité vis-à-vis de l’église, « cette éternelle recommenceuse, » allons donc ! ce n’est pas lui qu’on prendra jamais à ce métier de dupe. Avec l’église, il n’y a qu’un moyen préventif, la peur, et qu’un moyen de

  1. M. Boysset ignore sans doute que la grande majorité des curés de campagne n’a pas encore aujourd’hui, casuel compris, plus de 1,000 francs par an.