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pas permis de manger ni à ceux qui étaient avec lui, mais aux prêtres seuls ? Ou n’avez-vous point lu dans la loi qu’au jour du sabbat les prêtres, dans le temple, violent le sabbat et sont sans péchés ? Or je vous dis qu’il y a ici quelqu’un de plus grand que ce temple. Et si vous compreniez ce que signifient ces paroles : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n’auriez pas condamné les innocens. » Paroles admirables, malheureusement trop oubliées ! Comme le jour du sabbat était passé, j’aurais pu, pour mon compte, arracher sur ma route tous les épis que je rencontrais ; mais je n’en avais pas besoin.

Plus loin, au village de Kefr-Cana, j’aurais pu aussi, si j’avais eu soif, me désaltérer moralement au souvenir de l’eau que Jésus changea en vin. On montre encore, en effet, les deux urnes où le miracle s’accomplit. Je les ai vues et touchées. « Ces urnes, dit le Guide indicateur du frère Liévin de Hamme, que j’ai eu déjà l’occasion de citer, ces urnes sont en pierre du pays, assez grossièrement travaillées. Celle que j’ai mesurée a 0m,53 de diamètre, 0m,56 de profondeur, et son épaisseur est de 0m,13. L’autre est un peu plus petite. Quant à leur forme, elles ressemblent à une sorte de pain de sucre, c’est-à-dire qu’elles se terminent en cône. » Et il n’y a pas moyen de douter de leur authenticité, car le frère Liévin de Hamme ajoute : « Autrefois, on montrait des urnes de Cana un peu partout : les unes en porphyre et les autres en agate, etc. ; mais l’évangile de saint Jean (II, 6) dit explicitement : Or, il y avait six grandes urnes de pierre. » Hélas ! pourquoi faut-il qu’il y en ait encore deux et qu’on les rencontre sur son chemin peu de temps après avoir médité cette sublime maxime : « La miséricorde vaut mieux que le sacrifice ? »

En revenant de Tibériade, on va coucher à Nazareth, puis on prend le chemin de Saint-Jean-d’Acre. On quitte alors la Galilée pour la Phénicie, contrée nouvelle et qui rappelle des souvenirs bien différens. C’est passer d’un monde dans un autre. On ne retrouvera plus désormais les illusions heureuses qui vous reportaient pour quelques jours aux temps antiques, qui vous faisaient croire un instant que le monde de la Bible et de l’évangile était ressuscité pour vous ! C’est avec un indicible serrement de cœur que j’ai dit adieu, du haut du plateau qui domine Nazareth, où j’aurais voulu monter une dernière fois, à cette contrée délicieuse que je suis sans doute destiné à ne jamais revoir, mais dont rien ne me fera perdre la mémoire, il était tard, il fallut m’arracher assez vite à mes contemplations et âmes regrets. Je partis profondément ému. Salut donc, terre bénie, montagnes aux formes exquises, vallées profondes que le soleil de midi brûle de ses rayons et que le soir emplit d’ombres bleues ;