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produit la michna ; la casuistique elle-même s’est éteinte dans les plus doctes et les plus stérilisantes arguties morales et théologiques. La piété ne s’y manifeste plus que par ces dévotions bruyantes et mécaniques qui troublent la nuit du vendredi au samedi le sommeil des voyageurs. Si l’on retrouve le christianisme auprès du lac de Tibériade, il faut donc convenir qu’il n’en est pas de même du judaïsme, qui ne s’y manifeste que par ses côtés repoussans. Aussi est-ce avec une sorte de satisfaction qu’après avoir assisté à la journée du sabbat j’ai repris la route de Nazareth. Il fallait d’abord repasser par le mont des béatitudes, puis gagner le village de Loubieh, où le général Junot soutint un combat héroïque contre une armée de mamelouks. Loubieh est située sur une colline pierreuse et aride ; j’y arrivai vers midi. La lumière avait une violence prodigieuse, mais précisément à cause de cela elle n’y produisait pas ces effets factices qu’on remarque dans presque tous les tableaux d’Orient. J’ai beaucoup voyagé en Orient ; je n’y ai jamais vu ce qu’on voit chaque année au Salon de peinture, je veux dire des murs d’un blanc éclatant se détachant sur un ciel d’un bleu cru. Le ciel d’Orient est trop lumineux pour avoir des tons aussi secs ; il est baigné dans une sorte de clarté blanchâtre qui lui donne des colorations laiteuses d’une finesse exquise. Quant aux murs, ils sont tellement cuits et recuits par le soleil, qu’ils en paraissent toujours jaunis ou noircis. Je me rappelle la sensation étrange que me produisit le paysage de Loubieh à midi. L’ombre des maisons descendant perpendiculairement du sommet à la base des constructions assombrissait le village ; un phénomène du même genre se produisait sur les cactus ; aux alentours, l’air surchauffé avait des trépidations violentes : était-ce un effet d’aveuglement ? Je ne sais, mais il me semblait être en face d’un pays incolore et dont cependant la vue brûlait les yeux. Je me réfugiai pour déjeuner sous un bosquet de sycomores, où je ne fus dérangé que par quelques petites tortues qui ne s’attendaient pas à ma visite et qui n’en parurent pas très satisfaites. A quelque distance de Loubieh, après avoir traversé une plaine très fertile, on entre dans le champ dés épis, ainsi appelé parce qu’on suppose que c’est là que les disciples de Jésus, pressés par la faim, arrachèrent des épis pour en manger le grain. Les pharisiens s’indignèrent ; outre que manger le bien d’autrui passait à leurs yeux pour un crime, c’était le jour même du sabbat que les disciples de Jésus se conduisaient ainsi, et violer le sabbat était, selon eux, un crime bien plus considérable encore. Mais Jésus les reprit avec sa morale ordinaire : « N’avez-vous point lu, leur dit-il, ce que fit David quand il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui ? comment il entra dans la maison de Dieu et mangea les pains de proposition qu’il ne lui était