Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 51.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souplesse ne connaît pas d’obstacles ; des siècles de servitude l’ont habituée à tourner, toutes les difficultés et à ne se laisser jamais arrêter par les scrupules d’une délicatesse timorée que donne un long exercice du commandement et un long usage de la liberté ; elle sait au besoin braver l’ironie et surmonter le dédain ; enfin les démentis incessans de l’histoire l’ont ramenée au scepticisme de Salomon et, lasse de porter la parole d’un Dieu dont toutes les promesses ont été trompeuses, elle paraît bien résolue à ne plus placer son espoir qu’ici-bas.

Dans cette évolution nouvelle que la race juive me semble sur le point d’exécuter, sa pensée pourra conserver une forte originalité ; peut-être même arrivera-t-elle à de nouvelles créations morales et philosophiques. Tout fait supposer qu’elle se débarrassera peu à peu du monothéisme étroit des dernières années du royaume de Juda pour revenir peu à peu à des notions religieuses plus compatibles avec une puissance matérielle. Il est à remarquer que, durant la période de leurs conquêtes et de leurs succès, à l’époque où ils s’établissaient avec tant d’énergie sur le territoire où devait s’écrouler leur vie nationale, refoulant devant eux, ou écrasant les peuples qui s’opposaient à leurs progrès, les juifs n’étaient pas encore monothéistes ; ils adorent leur dieu, dieu violent qui. leur donnait la victoire dans les combats, mais, à mesure qu’ils s’établissaient dans une contrée, ils y respectaient et adoraient, je l’ai dit, les dieux pacifiques, les dieux de la fécondité et de l’abondance dont le culte les y avait précédés.

Plus tard, chaque fois qu’ils étaient sur le point d’atteindre uni haut degré de gloire et de prospérité, c’était à, la suite d’un abandon partiel de leur foi particulière et grâce à des compromis nombreux passés avec les influences étrangères, qu’ils obtenaient ces avantages matériels. Saül et David eux-mêmes, malgré leur zèle pour Yahveh, n’hésitaient pas à donner à leurs enfans le nom de Baal. Quant à Salomon, je viens de rappeler dans quel éclectisme théologique, ou plutôt dans quel scepticisme universel il était tombé ; ce fut certainement sous son règne, le plus heureux de l’histoire juive, que l’idée monothéiste courut les plus sérieux dangers. Si, comme on doit le croire, de brillantes destinées sont encore réservées aux israélites, ils n’en assureront la durée qu’en renonçant aux admirables, mais stériles conceptions que la petite caste sacerdotale et prophétique fit triompher au retour de Babylone et qui ne pouvaient être qu’une consolation dans la défaite, non un encouragement à de nouveaux succès. À cette condition, le judaïsme sera sans contredit de toutes les doctrines religieuses la plus susceptible de s’adapter aux nécessités modernes et aux idées par