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plus périlleuses, mais moralement de plus en plus fécondes. Sous le règne de Salomon, par exemple, ils furent bien près de devenir un peuple comme les autres, uniquement occupé de sa prospérité industrielle, d’art, de commerce et de plaisirs. Peu s’en fallut que le goût du bien-être et des joies mondaines ne l’emportât sur la véritable vocation d’Israël, qui était l’invention du monothéisme et la préparation du christianisme. Si Salomon eût réussi, s’il eût lancé définitivement son peuple dans les voies profanes, si le développement intellectuel et commercial qu’il avait inauguré se fût prolongé, la carrière sacrée des Hébreux eût été interrompue ; ils fussent devenus semblables aux Phéniciens, aux Sidoniens, aux Tyriens, aux nations de même origine qu’eux, qui les ont précédés ou suivis sur le sol de la Syrie. Jérusalem eût brillé quelque temps d’une splendeur toute matérielle ; il n’en resterait pas aujourd’hui beaucoup plus de vestiges que de Tyr et de Sidon. L’échec de cette tentative purement mondaine fut donc pour Israël un bonheur véritable. Néanmoins il laissa dans les cœurs un regret plein d’amertume. L’éblouissement du règne de Salomon ne se dissipa jamais tout à fait dans les crises les plus cruelles de l’histoire hébraïque, il se trouva toujours des esprits pratiques pour déplorer l’illusion généreuse qui avait fait préférer à Israël une vaine espérance religieuse aux jouissances certaines de la réalité.

C’est une remarque fort juste que ce même peuple hébreu, dont la pensée morale s’est élevée à un si haut degré de pureté et de désintéressement, a toujours eu cependant un goût particulier pour les biens terrestres et des aptitudes singulières pour les acquérir d’abord, puis pour en jouir avec une véritable passion. Il en est des nations chargées d’une mission divine comme des individus chargés d’un grand apostolat : à certaines heures, l’inspiration d’en haut entre en lutte avec les instincts inférieurs, et la faiblesse humaine s’effraie de tous les sacrifices auxquels il faut consentir pour soutenir un rôle désintéressé. Le trouble, la timidité, la tentation, l’emportent un instant sur le courage et le dévoûment. Satan monte sur la montagne, et montrant du doigt toutes les richesses de la terre : « Je te donnerai tout cela, dit-il, si tu veux m’adorer. » Sous le règne de Salomon, Israël faillit succomber à l’épreuve. Nation profondément sensuelle, portant, comme toutes les nations orientales d’ailleurs, des préoccupations matérielles jusque dans son idéal le plus délicat, puissamment douée pour la vie gaie, heureuse, féconde, elle faillit préférer la sagesse vulgaire à la sublime folie qui devait faire sa gloire. Salomon lui donna, dans ses écrits comme dans ses actes, l’exemple et le conseil de cette sagesse. Les ouvrages qu’on lui attribue portent tous la trace d’une préoccupation