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divin était la conséquence inévitable d’un pareil système. Les juifs n’y arrivèrent jamais complètement, mais ce fut l’œuvre particulière de Mahomet et des Arabes. Cette œuvre ne pouvait être l’apanage d’un seul peuple. Par sa nature même, elle était universelle. L’islamisme sut faire ce que le judaïsme n’avait point fait, il sut briser tout lien avec une nationalité particulière, avec un culte local, pour devenir réellement cosmopolite. Se laissant ramener à deux dogmes essentiels, d’une simplicité parfaite, il s’adapta sans peine au génie et aux mœurs des races les plus différentes, et la rapidité extraordinaire de son expansion prouve suffisamment que ses prétentions à l’universalité étaient justifiées.

Les débuts du christianisme ont été plus lents et plus pénibles. De même que l’islamisme devait être l’épanouissement de l’idée du monothéisme, de même le christianisme fut l’épanouissement de l’idée du messianisme. Mais s’il est relativement facile de s’élever à l’a conception de l’unité divine et d’admettre que Dieu se manifeste par un prophète, il l’est beaucoup moins de savoir à quels caractères reconnaître le Messie. Parmi le grand nombre de ceux qui passaient et disparaissaient en Israël, y en avait-il un qu’on pût regarder comme le véritable ? A coup sûr non, si on s’en tenait à la conception première qui voulait que le Messie relevât la patrie terrestre et réunît tous les peuples du monde autour de Jérusalem. Mais là aussi allait se produire une de ces transformations que la souplesse merveilleuse du génie judaïque a rendues si nombreuses et si fécondes. Tandis que la masse des juifs, les yeux fixés sur l’horizon, y cherchaient l’aurore de l’apparition qu’ils attendaient avec tant d’impatience, quelques-uns d’entre eux se prirent à dire : « Vous vous trompez. Le Messie est venu. Vous l’avez méconnu, vous l’avez tué ; mais il reviendra juger les vivans et les morts. » Nouvelle étrange sans doute, mais qui changeait, après tout, peu de chose aux espérances judaïques. Il était assez indifférent que le Messie eût passé une première fois incompris et méprisé sur la terre, puisqu’il allait y apparaître de nouveau et puisque son règne n’y était qu’ajourné.

Pendant longtemps, les chrétiens ne crurent pas moins sérieusement que les juifs à la fin prochaine du mal, à une ère future de justice, de paix et de bonheur. Eux aussi, ils tenaient les yeux fixés sur l’horizon, avec une confiance d’autant plus vive qu’ils connaissaient déjà le Sauveur, qu’ils l’avaient vu et que sa personne, ses actes, ses discours avaient laissé dans leurs âmes une ineffaçable impression. Mais précisément parce que leur espérance était plus précise, la réalité les trompa plus manifestement encore que les juifs. Les siècles s’écoulèrent et Jésus ne revint pas.