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les couperait s’ils venaient à pousser par hasard. Je n’en ai découvert qu’un seul dans toute la contrée, il projetait une ombre bien faible sur un tombeau musulman composé de quelques méchantes pierres que tapissaient les plus beaux liserons et les plus charmans coquelicots.

C’est là que je me suis installé sans façon pour déjeuner, fuyant l’accablante chaleur de la tente. Il était midi ; le lac, sur lequel le soleil dardait directement ses rayons, ressemblait à une immense surface absolument plane, à une mer d’huile d’un blanc laiteux qu’aucune brise ne ridait. Si je m’avisais de soulever un caillou, j’y trouvais immanquablement un de ces petits scorpions assez inoffensifs lorsqu’on ne les dérange pas, mais dont le méchant caractère s’aigrit dès qu’on veut les toucher. De gros lézards, des espèces de salamandres apparaissaient sur les rochers humant la lumière avec volupté ; d’innombrables insectes bourdonnaient dans l’air ; il n’y avait d’autre ombre, dans tout ce paysage dévoré par la lumière, que celle de l’arbre sous lequel je m’étais établi. Quel changement depuis l’époque où Jésus entraînait à sa suite une petite troupe fidèle à travers les frais sentiers, au penchant des collines que recouvraient les riches moissons dont le souvenir revient sans cesse dans l’évangile !

Si transformé que soit le pays de Génézareth, il n’est pourtant pas difficile de retrouver dans son imagination l’image de ce qu’il était autrefois et de rétablir le cadre de la vie de Jésus. Le matin, quand la campagne s’éveille sous les premiers rayons du soleil, avec tout l’éclat de ses fleurs et tous les murmures de ses oiseaux ; le soir, lorsque les lueurs dorées du couchant font ressortir la souplesse inimaginable du contour des montagnes ; la nuit, lorsque le ciel se couvre d’autant d’étoiles que la terre est parsemée de fleurs et que le lac, toujours calme, les réfléchit presque sans en affaiblir l’éclat, le présent disparaît, l’on croit encore que le passé vient de renaître et que les siècles qui l’ont terni n’ont eu qu’une existence illusoire. J’ose dire qu’il est impossible, sinon de comprendre, au moins de sentir toute la poésie de l’évangile, si l’on n’a point relu ce livre exquis au lieu même où les scènes qu’il raconte se sont produites, où la morale qu’il enseigne est tombée pour la première fois des lèvres du divin maître.

On s’explique admirablement le sermon sur la montagne en voyant les pentes fleuries où Jésus conduisait en foule des femmes, des enfans, des hommes d’une simplicité primitive parmi les productions d’une nature merveilleuse, en face d’un ciel immaculé et d’une petite mer sans pareille pour la grâce et pour la douceur. Ce que ce sermon a souvent de plus incompréhensible sous nos