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elle se met au service d’étroites passions nationales, et le patriotisme lui-même, en se confondant avec ces passions, se dépouille de ce qu’il a de généreux et de hautement moral. Ce ne sont pas de tels exemples qu’il convient de proposer à notre imitation. Ils répugnent absolument à notre caractère et à nos mœurs scolaires, et M. Bréal observe avec raison que les Allemands nous font une injure gratuite quand ils ajoutent à tous leurs griefs contre nous le reproche d’élever nos enfans dans des sentimens d’hostilité à l’égard des autres peuples. Ils n’ont même plus le droit de nous reprocher un excès de vanité, dont nous tendons si bien à nous défaire que nous tombons souvent dans l’excès opposé. Nous portons volontiers dans nos appréciations sur le passé ou sur le présent de la France un esprit de dénigrement. Nous exaltons à nos dépens les mérites des autres peuples, et quand nous ne nous rabaissons pas d’une manière générale, nous traçons entre nous, nous instituons dans notre histoire des frontières autour desquelles nous accumulons plus de passions belliqueuses que nous n’en avons jamais nourri pour la défense ou pour l’extension de notre territoire commun. Il y a aussi de la haine dans notre patriotisme, et l’histoire s’est faite trop souvent la complice de cette haine qui se détourne de l’étranger pour soulever la France contre elle-même. Pour les uns, la seule France digne de notre amour et de notre respect est la France monarchique et catholique des siècles passés, et même les plus ardens répudieraient encore les trois derniers siècles pour ne s’attacher qu’à la France du moyen âge. D’autres font commencer la patrie française en 1789 ; ils ne s’occupent de l’ancien régime que pour y chercher les tableaux les plus odieux ; dans la France nouvelle elle-même, ils rejettent et le consulat et l’empire et les deux royautés de 1815 et de 1830 : le culte de la France n’est pour eux que le culte de la révolution et de la république. Ce n’est pas moins fausser l’histoire et dégrader le patriotisme que le fait l’esprit étroit de l’enseignement allemand. Entre les deux excès, la véritable école du patriotisme est l’étude exacte et impartiale de l’histoire nationale. Il n’est pas besoin, pour faire aimer la patrie, de grossir certains faits et d’en laisser d’autres dans l’ombre. L’histoire vraie, l’histoire vivante, replaçant chaque fait dans son milieu, dans tout l’ensemble de circonstances et de détails qui peut éveiller la curiosité et soutenir l’intérêt, se prête, sans qu’on les cherche, et aux leçons morales et aux leçons patriotiques. Elle nous montre, à travers les âges comme à travers la diversité des provinces, la formation et raffermissement de l’unité nationale ; elle nous fait sentir comme une parcelle de notre vie propre dans tout ce qui a été, dans tout ce qui est aujourd’hui la vie de la France ; elle fait battre nos cœurs aux souvenirs de succès